Médias : « Manipulation » ! « On nous prend pour des cons » !

« Les médias nous manipulent » ! « On nous prend pour des cons » ! Les gens arborent une posture pour montrer « qu’on ne la leur fait pas », à eux. Mais quand il s’agit de contenus qui brossent l’opinion dans le sens du poil, beaucoup laissent leur soi-disant « esprit critique » au placard…

« Quelle bande de moutons autour de moi ! Heureusement, je ne suis pas comme ces esclaves de la société, je suis critique, moi ! » – Source de l’image (sans la bulle) : https://pxhere.com/fr/photo/566618

J’ai encore eu le malheur de tomber sur le haut du panier de la réflexion et de l’analyse sur Facebook :

« Il fait 7 mètres de haut, il marche sur l’eau comme Moïse ou comme dab, on nous prend pour des cons… » (voir la publication).

Comme le détaille le site de l’AFP, « cette publication Facebook, partagée près de 30.000 fois depuis le 9 août, montre un groupe d’une vingtaine de naufragés à la dérive ».

N’hésitez pas à ne pas lire si, contrairement à moi, vous tenez au peu de santé mentale qu’il vous reste.

« Lémédia champion du monde du foutage de gueule » (453 réactions) – https://www.philomedia.be/tas-laisse-ton-esprit-critique-au-placard/

« MANIPULATION ! »

Et surtout ne mélangeons pas tout.

T’as laissé ton « esprit critique » au placard !

T’as laissé ton “esprit critique” au placard !

Une caractéristique récurrente de ce type de publication est que l’on peut y lire des gens qui critiquent « lémédia » ou autres qui « nous manipulent » avec des « intérêts cachés », mais que ces mêmes gens ne remettent absolument pas en question l’image partagée par un random militant, ainsi que ses intérêts à lui, justement.

Vous savez qu’on m’a accusé d’être au service d’un pouissant « lobby des migrants » (sic) ? J’attends toujours ma rémunération (Pour qui roule Philomedia ?).

Ils affichent avant tout une posture en disant qu’ils ne sont « pas dupes », mais ne témoignent pas d’une véritable pensée critique. Personne ne semble prendre le temps d’enquêter sur l’image, sur son contexte, ou encore de la mettre en perspective avec la réalité.

Un mensonge poserait-il problème s’il n’y avait personne pour y croire ?

Un mensonge poserait-il problème s’il n’y avait personne pour y croire ?

Plusieurs études montrent par exemple que nous sommes enclins à accorder plus d’importance aux informations qui confortent nos idées préalables (biais de confirmation). De surcroit, plus ces idées nous semblent constitutives de notre « identité », plus c’est difficile de les remettre en question.

Des paradoxes des critiques envers les médias – Extraits de Médias : influence, pouvoir et fiabilité (2012)

La critique des médias sociaux est avant tout une critique sociale et affective.

Cette posture est également souvent le reflet d’une réactivité émotionnelle brute, voire brutale.

C’est la raison pour laquelle, dans Médias : influence, pouvoir et fiabilité (2012), je défendais déjà l’idée que l’analyse critique des médias et des informations passe par l’observation – tout aussi critique – de notre propre rapport à ces médias et à ces infos. Les faits ne sont qu’un état du monde. Dès le moment où ils font l’objet d’une observation, ils mettent en jeu notre propre subjectivité.

Autrement dit : il faut analyser et déconstruire les contenus médiatiques auxquels nous sommes confrontés au quotidien (et il y a bien des raisons de le faire), mais il faut aussi critiquer nos propres attitudes à leur égard.

Pour aller plus loin :

Information, émotions et désaccords sur le web – Comment développer des attitudes critiques et respectueuses ?

Désinformation et éducation aux médias : entretien

2 commentaires

  1. Sources de ce qui suit :
    – Université de Paix asbl, Esprit critique et complotisme : définitions et Esprit critique et complotisme : rhétorique, Dossier Esprit critique et complotisme (2017)
    – Lecomte, J., Des paradoxes des critiques par rapport aux médias, Médias : influence, pouvoir et fiabilité (2012)
    – Michels, C., L’apport de l’éducation aux médias pour le développement du questionnement critique : Quelle importance accorder au choix de la pédagogie ? (2017)

    En 2012, dans Médias : influence, pouvoir et fiabilité, nous avons questionné le complotisme en ce sens.

    Depuis, le terme « théorie du complot » est parfois utilisé pour discréditer toute remise en cause d’une version officielle. Un usage similaire est fait du terme « fake news » : ceux qui produisent ou diffusent des « fausses informations » accusent leurs opposants de dire des mensonges. « Lutter contre les théories du complot » pourrait être un instrument de propagande : « il ne faut surtout pas remettre en cause la version officielle, sinon on est discrédité ». Un système totalitaire pourrait avoir tout intérêt à « réprimer » tous les discours qui le remettent en cause. Il en est de même pour différents groupes d’intérêt ou lobbies.

    Il faut prendre garde à la tentation de créer des « labels » qu’une autorité supérieure pourrait appliquer en évitant toute remise en question critique. De plus, plusieurs complotistes refusent que leurs thèses soient qualifiées de « théories du complot ». Un risque est de renforcer une posture paranoïde : « c’est bien la preuve que notre parole dérange, on veut nous faire taire ». On en arrive à un paysage médiatique dans lequel les uns et les autres s’accusent mutuellement de désinformer, et où finalement le citoyen ne dispose d’aucune balise pour se faire une opinion de manière rationnelle.

    Ces termes étant galvaudés, utilisés pour tout et son contraire, il convient de les utiliser avec une grande précaution. Par convention, nous disons qu’un complot (fait de manipulation avéré, vérifiable) diffère d’une théorie du complot (idée selon laquelle une instance secrète tire les ficelles) qui elle-même est à distinguer d’une posture complotiste, du complotisme (attitude consistant à voir des complots partout).

    Ainsi, il se peut qu’une personne adoptant une attitude « complotiste » élabore une « théorie du complot » et que le « complot » soit avéré au final ! Le problème est que l’on peut croire des choses vraies pour de « mauvaises » raisons (raisonnement non-valide). En logique, c’est la différence entre la vérité des propositions (par exemple, la proposition « il pleut » est vraie si effectivement il pleut : on peut le vérifier) et la validité du raisonnement (par exemple, le raisonnement « s’il pleut, je vais faire du vélo, or il pleut, donc je vais faire du vélo » est valide).

    Un raisonnement invalide peut amener à croire des choses vraies : « s’il pleut, je vais faire du vélo, or il ne pleut pas, donc je ne vais pas faire de vélo » n’est pas un raisonnement valide, mais dans les faits je ne vais pas faire de vélo.

    Exemple de raisonnement non valide avec conclusion vraie (Voir aussi « Sophisme » sur Wikipédia, qui reprend une liste d’arguments fallacieux) :

    Tous les chats sont des mammifères

    Or tous les félins sont des mammifères

    Donc tous les chats sont des félins

    Les chats sont effectivement des félins, mais si l’on remplace « chats » par « chiens », on constate que le raisonnement est caduc ! En nous concentrant sur la « forme » des documents complotistes, sur leur construction et sur leur rhétorique, nous nous concentrons davantage sur la question du raisonnement que sur le contenu de ceux-ci.

    Dans l’article ci-dessus, vous aurez constaté que nous ne nous attardons même pas sur la vérification ou la réfutation des propos de l’image. En effet, peu importe si le contenu des propositions est vrai ou faux ici, nous nous attardons sur la non-validité du raisonnement…

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