Un exemple de mise en doute : la causalité

Voici quelques exemples, partageables avec un jeune public, de remise en cause d’affirmations « scientifiques », soi-disant basées sur le lien de causalité. Le but de cet article consiste surtout en une « mise en jambes » ludique : en questionnant le rapport de la cause à la conséquence entre certaines choses, nous remarquons aisément qu’il est souvent loin d’aller de soi. Dès lors, une réflexion plus large peut voir le jour.

L’Eglise du monstre en spaghetti volant – Source : Venganza.orgWikipédia

1. Le sens de la causalité

Voici un exemple d’affirmation : « les programmes de télévision violents rendent violent ». On peut lire régulièrement que la consommation d’images violentes cause une augmentation de la violence. Voir de la violence –cause– engendrerait davantage de violence –conséquence–.

Les faits violents sont régulièrement mis en relation avec une haute exposition à des programmes violents. Mais ces considérations émanent-elles d’observations fiables ? Quels sont les chiffres ? Le succès de ce type de thèse simple n’est-il pas renforcé par le fait qu’une certaine « science » suggère ce lien, appuyée par plusieurs médias sensationnalistes, et selon des théories passées dans le sens commun, de type comportementalistes[1] par exemple (chien de Pavlov) ?

Autrement formulé, il y a un type de discours médiatique commun qui affirme que « tel délinquant regardait beaucoup de mangas violents ». Du coup, cela suggère l’inférence que la cause de sa violence provient des mangas. Quelle validité ce genre de raisonnement a-t-il réellement ? Dans quelle mesure le regard porté n’est-il pas influencé, formaté, biaisé ?

La tendance à croire cette proposition est grande. Mais que penser de cette phrase lorsqu’on en retourne le sens de la causalité : « les gens violents s’exposent plus à la télé violente » ? Est-ce le fait de regarder des programmes violents qui rendent violent, ou est-ce le fait d’être violent qui pousse à regarder ce type de programme ?

Le sens de la causalité est loin d’être évident. Devient-on délinquant parce qu’on s’expose à la violence télévisuelle… Ou s’expose-t-on à la violence (en général) parce qu’on est devenu délinquant par ailleurs ? En d’autres termes, la véritable cause ne serait-elle pas une violence préalable, plutôt que l’exposition à la télévision ?

Question de l’œuf ou de la poule, en somme (bien qu’à ce sujet, pour moi, la réponse biologique est l’œuf, mais pas un œuf pondu par une poule).

D’autres penseurs n’hésitent pas à dire que les émissions violentes apaiseraient justement le besoin de violence, les pulsions, de certains individus.

Le débat reste sans fin à ce jour si l’on continue à étudier celui-ci via des modèles « binaires », simplistes d’une cause à un effet. Ces modèles ne sont pas à rejeter en tant que tels, mais ils impliquent de nombreuses distinctions préalables, afin notamment d’isoler les variables observées (comportements, discours, sensations, zones du cerveau activées, etc.). Le contexte socioculturel, entre autres variables tierces, est primordial à prendre en compte dans ce genre d’études : il permet de se rendre compte de la complexité de ce genre de problématiques, et de cerner la portée des différentes affirmations. De nombreux éléments sont à considérer si l’on veut donner une image fidèle de la réalité.

> Pour approfondir la question des liens entre exposition à des contenus violents (à travers les médias) et adoption de comportements violents, voir également Les apprentis sorciers de l’éducation aux médias (3) : les pratiques des apprentis sorciers. Des partis pris réactionnaires (violence, sexe, etc.)

> Sur la différence entre causalité et corrélation, entre autres, lire aussi La logique face aux mauvais arguments (2014)

La logique face aux mauvais arguments

2. La « causalité contradictoire » dans certaines doctrines

En psychanalyse : si on est amoureux de sa mère, alors on vérifie Œdipe. Si on ne l’est pas, alors c’est qu’on refoule, et donc on vérifie Œdipe.

Ce type de raisonnement marche aussi pour l’existence de Dieu et d’autres « sciences ». Le principe remis en cause l’est parce qu’il est présenté à la fois comme la cause d’un fait et de son contraire. Si un principe explique quelque chose et son contraire, explique-t-il réellement quelque chose ? Qu’en penser ?

3. L’induction

L’induction est la manière de procéder en sciences empiriques. En observant la réalité, on induit une loi.

Concrètement, si je vois cent corbeaux noirs (observation de faits), je dirai « les corbeaux sont noirs » (induction d’une loi générale). Et si apparaissait un corbeau blanc? L’induction est toujours une vérité provisoire. Elle implique donc des causalités provisoires. Dans le cas des corbeaux, cela fonctionne, mais l’induction est un modèle qui peut parfois prêter à confusion… Rien ne prouve que le soleil se lèvera demain (ce qui n’empêche pas qu’il y ait de sérieuses raisons de croire qu’il le fera). C’est en substance l’analyse que fait Hume et que reprend Popper à propos de l’induction.

Une illustration nous est donnée par Lombroso, cet homme qui avait mis en relation la criminalité avec la forme des crânes de criminels de son époque, pour en arriver à un profil-type du criminel. Concrètement, il avait observé des tas de crânes d’hommes pour en arriver à la conclusion que certains reflétaient une tendance criminelle. « Délit de faciès », en somme. Quelle pertinence cela a-t-il aujourd’hui, après les dérives eugéniques ?

Que penser dès lors des (pseudo) liens de causalité ?

4. Une illustration – le pastafarisme

Le pastafarisme : évolution du nombre de pirates au fil du temps

http://www.venganza.org
http://www.venganza.org/about/open-letter

Voici une illustration. C’est la « preuve graphique », glissant de corrélation à causalité, que Dieu est un Spaghetti volant qui a un rapport avec les pirates (le réchauffement climatique est d’ailleurs dû à la baisse du nombre de pirates dans le monde ; il y est inversement proportionnel).

Vous aussi, rejoignez The Church of the Flying Spaghetti Monster.

Un autre exemple : source

Corrélation entre la consommation de chocolat et le nombre de lauréats d’un Prix Nobel : corrélation (Tel pays a une faible consommation de chocolat, ce même pays a peu de lauréats à un Prix Nobel) n’est pas causalité (Tel pays a une faible consommation de chocolat => ce même pays a peu de lauréats à un Prix Nobel, cf. source).

> Voir aussi « Spurious Correlations », par Tyler Vigen.

Une dernière illustration anecdotique :

« Que fais-tu ?

– J’éloigne des éléphants en mettant du sel sur les arbres.

– Mais, il n’y a pas d’éléphant ici ?!

– Évidemment, puisque je mets du sel sur les arbres ».

Pour conclure…

Cette ébauche de questionnement illustrative, teintée d’ironie, est à voir comme une porte d’entrée aux discussions : de nombreuses choses, celles vues sous l’angle de la causalité par exemple, méritent d’être remises en cause. Si un graphique (dont les sources sont explicitement approximatives) parvient à élaborer un lien causal entre nombre de pirates, réchauffement climatique, et existence d’un Dieu en spaghettis volants, il est peut-être intéressant de réfléchir sur notre fonctionnement vis-à-vis de ce que nous considérons comme des « vérités » indubitables / indiscutables. Il reste que nous pouvons nous engager pour défendre une certaine « causalité », nuancée, dans une certaine mesure.


[1] Le comportementalisme est le modèle « stimulus – réponse » qui défend le fait qu’un stimulus donné (par exemple, nourrir un chien tous les jours à la même heure) engendre une réponse comportementale (le chien salive à l’approche de l’heure à laquelle il est habituellement nourri). Le stimulus correspond à la cause, la réponse comportementale à la conséquence. Dans notre cas, la violence à la télévision (cause-stimulus) engendrerait des comportements violents (réponse comportementale).