Vertus, déontologisme et conséquentialisme : les 3 voies de la philosophie morale

Dans cet article, nous présentons les trois manières d’envisager la philosophie morale : l’éthique des vertus, le déontologisme et le conséquentialisme. Ensuite, nous développons les fondements de l’éthique des vertus, face aux impasses du déontologisme et du conséquentialisme. Enfin, nous épinglons des critiques qui peuvent être adressées à l’éthique des vertus.

Il s’agit ici d’une ébauche (« draft ») qui fera vraisemblablement l’objet plus tard d’un travail rédactionnel plus conséquent.

Frans Francken le Jeune – Mankind’s Eternal Dilemma, The Choice Between Virtue And Vice (1633).

> Voir aussi : Questions de liberté – Questions de philosophie morale

Déontologisme, conséquentialisme et éthique des vertus

Ces courants représentent trois manières d’évaluer une action morale.

Déontologisme : le jugement de la moralité d’une action se fait en fonction de devoirs, obligations ou interdits moraux. Cette action est intrinsèquement bonne ou mauvaise selon qu’elle correspond ou non à des lois ou devoirs (exemples : « ne pas tuer », « ne pas mentir ». Tuer ou mentir est mauvais en toutes circonstances. Cf. la philosophie morale de Kant, notion de « respect »).

Un acte bon est un acte bon « en soi », par définition.

Conséquentialisme : le jugement de la moralité d’une action se fait en fonction des conséquences de cette action (ici, mentir pourrait être justifié par le fait de préserver une personne, de ne pas l’inquiéter… Cf. également la notion d’utilitarisme).

Un acte bon est un acte qui a de bonnes conséquences.

Nihilisme, déontologisme et conséquentialisme en morale

L’éthique dite « des vertus » est d’ailleurs souvent présentée comme la « troisième voie » de la philosophie morale, en supplément donc des approches déontologiste et conséquentialiste. L’éthique des vertus met l’accent sur la réalisation de soi individuelle, sur l’accomplissement à travers des qualités essentielles telles que le courage, le bon caractère, et non à travers le respect de principes universels ou pour le bien du plus grand nombre.

A ce sujet, lire notamment :

Ethique des vertus, déontologisme et conséquentialisme

D’autres conceptions ont succédé à cette éthique des vertus. De manière générale, le bonheur est tantôt défini d’un point de vue plutôt subjectiviste (le bonheur dépend du sentiment de l’individu, et donc de son propre rapport aux choses), tantôt d’un point de vue plutôt objectiviste (le bonheur dépend d’états de fait qui procurent objectivement de la joie, telle qu’un observateur extérieur pourrait en juger). Ainsi, certains modes de vie contemporains vont mettre l’accent sur des « critères d’accomplissement » (avoir une vie heureuse correspond à concrétiser des projets de vie, par exemple), tandis que d’autres vont mettre le focus sur des dispositions d’esprit (être heureux, c’est accueillir les aléas de la vie avec bienveillance, par exemple).

L’éthique des vertus face aux impasses du déontologisme et du conséquentialisme

L’une des thèses qui gravitent autour de l’éthique des vertus est que l’on ne peut pas juger qu’une chose est bonne ou mauvaise dans l’absolu, et que l’on n’a accès au final qu’à ce que cela engendre chez nous. Ce qui compte, c’est ce que l’on fait subjectivement de ce qui nous arrive. Une douleur peut être transformée en opportunité. Une rupture peut ouvrir de nouveaux chemins de vie. Un événement n’est ni bon, ni mauvais : c’est juste une expérience à vivre.

Qui sommes-nous pour juger de ce qui arrive aux autres ? Le monde est par ailleurs tellement complexe… C’est plutôt notre propre accomplissement que nous pouvons évaluer. Nous aurions en outre peu de pouvoir d’agir sur le reste.

Source incontournable pour les anglophones : Virtue Ethics (Internet Encyclopedia of Philosophy)

Virtue ethics is a broad term for theories that emphasize the role of character and virtue in moral philosophy rather than either doing one’s duty or acting in order to bring about good consequences. A virtue ethicist is likely to give you this kind of moral advice: “Act as a virtuous person would act in your situation.”

Most virtue ethics theories take their inspiration from Aristotle who declared that a virtuous person is someone who has ideal character traits. These traits derive from natural internal tendencies, but need to be nurtured; however, once established, they will become stable. For example, a virtuous person is someone who is kind across many situations over a lifetime because that is her character and not because she wants to maximize utility or gain favors or simply do her duty. Unlike deontological and consequentialist theories, theories of virtue ethics do not aim primarily to identify universal principles that can be applied in any moral situation. And virtue ethics theories deal with wider questions—“How should I live?” and “What is the good life?” and “What are proper family and social values?”

[…]

[Anscombe]

A law conception of ethics deals exclusively with obligation and duty. Among the theories she criticized for their reliance on universally applicable principles were J. S. Mill‘s utilitarianism and Kant‘s deontology. These theories rely on rules of morality that were claimed to be applicable to any moral situation (that is, Mill’s Greatest Happiness Principle and Kant’s Categorical Imperative). This approach to ethics relies on universal principles and results in a rigid moral code. 

[…] The philosophers who took up Anscombe’s call for a return to virtue saw their task as being to define virtue ethics in terms of what it is not—that is, how it differs from and avoids the mistakes made by the other normative theories. 

Virtue Ethics (Internet Encyclopedia of Philosophy)

> Gertrude Elizabeth Margaret Anscombe (Wikipédia)Modern Moral Philosophy (1958)

> Virtue Ethics (Internet Encyclopedia of Philosophy)

Arendt, éthique des vertus et existentialisme : comment être une « bonne personne » ?

C’est lorsqu’elle observe et commente le procès du criminel de guerre nazi Adolf Eichmann qu’Arendt développe le concept de « banalité du mal ». L’idée d’Arendt n’est pas de dire qu’Eichmann n’a pas commis des actes atroces ou encore qu’il était juste idiot, mais bien de pointer le fait qu’il n’a pas posé d’acte moral pour se définir autrement. Elle ne banalise pas les actes commis, au contraire. Son questionnement est de comprendre comment un être « banal », « médiocre », a pu commettre des actes qui figurent parmi les plus atroces de l’humanité.

« C’est peut-être méconnaître la profonde cohérence conceptuelle d’Arendt. Le livre qui précède le voyage à Jérusalem de 1961 n’est en effet pas Les Origines du totalitarisme (1951), mais Condition de l’homme moderne (1958), qui nous éclaire par contraste sur ce qu’Arendt entend par « banalité ». Il faut y voir le contrepoint de l’héroïsme. Le héros, celui de l’Antiquité, dont le prototype est Achille, sait sortir de lui-même. Il transporte ses exploits dans le domaine public qu’il accroît du même coup. Il parle autant qu’il se bat. Eichmann, lui, ne parle pas ou balbutie la “grotesque” phraséologie nazie jusqu’au pied de la potence, il complote, il aime le secret.

S’il ne “pense” pas, c’est qu’il a transformé sa pensée en monolithe. Alors que le courage est pour Arendt la vertu politique par excellence, tournée vers le monde et vers les autres, Eichmann se fige dans son égoïsme. Plus qu’un homme ordinaire, Eichmann reste donc un « banal » antihéros. Aux actes monstrueux ».

La « banalité du mal », nouvel examen critique (Le Monde, 2012)

Cette perception a deux enjeux fondamentaux :

  1. Il est possible de développer des habitudes éthiques (de « jugement moral »), de s’accomplir et de devenir une « meilleure personne », en quelque sorte. Il s’agit de développer une attitude réflexive vis-à-vis de nos actes par rapport à nous-mêmes, à autrui (comme individu mais aussi en tant qu’être vivant, en tant que « vie ») et au monde. C’est une invitation éthique individuelle : la personne humaine dispose d’une marge de liberté qu’il lui revient d’assumer.
  2. Il existe des environnements et des systèmes qui sont plus ou moins propices à l’exercice du jugement moral. Différentes situations peuvent aider ou non une personne à se mettre en questionnement sur elle-même. Il est possible de lutter contre les structures qui aliènent l’individu, pensent à sa place ou lui restreignent sa liberté. Positivement, cela veut dire que l’on peut favoriser un cadre propice au jugement moral, au niveau politique (au sens noble, en ce compris à travers l’éducation, par exemple).

La philosophie de Arendt a donc un double impact, contre l’immobilisme et la fatalité : il est possible d’agir aux niveaux individuel et social pour développer le sens moral. Pour Arendt, le jugement moral n’est pas quelque chose que l’on peut acquérir “une fois pour toutes”. C’est un potentiel qu’il faut exercer, entrainer, pratiquer.

Lorsqu’Arendt dit que “c’est dans le vide de pensée que s’inscrit le mal”, elle ne veut pas dire que les gens mauvais sont des idiots “par nature”, qu’ils sont incapables de lire ou de calculer, mais que ce sont des personnes qui n’ont pas exercé leurs facultés de jugement moral.

Qu’est-ce que l’existentialisme ?

Décentration, empathie, pensée critique, nuance…

Dans plusieurs articles, j’aborde ces différents concepts : esprit / pensée critique, décentration, nuance, etc. Je les considère comme des vertus. Ce sont des qualités qui peuvent être entrainées, développées.

Je tâche d’ailleurs de préciser ce que j’entends par ces qualités que je considère importantes.

Critiques à l’éthique des vertus

L’éthique des vertus est propice au relativisme en morale

Subjectivisme et relativisme : quels critères pour juger du bien ?

Morality is supposed to be about other people. It deals with our actions to the extent that they affect other people. Moral praise and blame is attributed on the grounds of an evaluation of our behavior towards others and the ways in that we exhibit, or fail to exhibit, a concern for the well-being of others. Virtue ethics, according to this objection, is self-centered because its primary concern is with the agent’s own character.

Virtue Ethics (Internet Encyclopedia of Philosophy)

L’exemple du « développement personnel » (?)

Dans le domaine dit du « développement personnel », une éthique relativiste implicite voudrait que nous ne sommes responsables que de notre propre bonheur. Vraiment ?

“Il n’y a pas de vérité”, “à chacun sa vérité”… Qu’est-ce que le relativisme ?

Juger les actes versus juger les gens : le risque de l’essentialisme moral

Essentialisme moral, sécurité et totalitarisme : certains humains sont-ils intrinsèquement des monstres ?

L’éthique des vertus peut être réduite à des principes (déontologistes ou conséquentialistes)

Quelles vertus priment sur les autres ? Qu’est-ce qu’une vertu ? Le décider = rendre les vertus réductibles à des principes ?

Dans le cas de l’esprit critique, de la décentration, de l’empathie, de la nuance… (cf. ci-dessus), qu’est-ce qui fait que l’on peut dire que c’est bien ou mal ? A mon sens, ces vertus sont importantes, mais pour quelles raisons ? Si je les estime importantes en elles-mêmes, alors n’est-ce pas un raisonnement déontologiste ? Si je les estime importantes parce qu’elles ont des effets (conséquences) plutôt positives (lorsque l’on a la capacité d’en faire oeuvre lorsque c’est adéquat), alors n’est-ce pas un raisonnement conséquentialiste ?

Il me semble difficile d’évaluer ce qui est bien / mal sans avoir recours à autre chose qu’à l’éthique des vertus. Quels sont les critères pour dire qu’une chose est bonne ou mauvaise ?

L’une des réponses pourrait être d’évacuer la question du bien et du mal, en reléguant ces approches à du dogmatisme : on devrait cesser de raisonner en ces termes moralisateurs. Les choses ne sont pas bonnes ou mauvaises, elles sont simplement, et tout dépend de ce que nous en faisons subjectivement. Ce type de réponse renvoie alors à la limite du relativisme moral.

L’éthique des vertus ne balise pas l’action

Moral philosophy is concerned with practical issues. Fundamentally it is about how we should act. Virtue ethics has criticized consequentialist and deontological theories for being too rigid and inflexible because they rely on one rule or principle. One reply to this is that these theories are action guiding. The existence of “rigid” rules is a strength, not a weakness because they offer clear direction on what to do.

Virtue Ethics (Internet Encyclopedia of Philosophy)

Pour ma part, je pense par exemple que des principes moraux tels que « ne pas nuire » sont importants lorsqu’il s’agit d’éthique.