Nouveaux médias : de la passivité à l’interactivité ?

Les nouveaux médias révolutionnent-ils le monde ?

Les technologies semblent en perpétuelle évolution. Les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Youtube, Tumblr, Pinterest, etc.), les applications et i-phones ou encore le web 2.0 sont-ils en train de révolutionner notre rapport au monde ? L’usager des médias est-il en train de se métamorphoser ? La communication a-t-elle radicalement changé ?

On pourrait le croire. Certains affirment qu’il y aurait une rupture radicale entre un « avant » et un « après » l’apparition des réseaux sociaux et Internet. Avant, le consommateur était un individu passif faisant partie d’une masse, et dont le temps de cerveau disponible était vendu à Coca-Cola. Après, le consommateur est devenu actif. Il peut s’exprimer et partager sa critique des contenus.

Selon nous, cette vision est assez simpliste. D’une part, l’activité de l’usager n’est pas une pure révolution : les médias ont tous une dimension sociale, marquée d’échanges et de pratiques. Autrement dit, les nouvelles technologies n’ont pas le monopole de l’interactivité. D’autre part, la communication « du haut vers le bas » (« top-down« ) entre un influenceur potentiel et une masse d’individus existe toujours.

Le consommateur évolue : une rupture radicale entre « avant » et « après »?

C’est ce que semble présupposer l’infographie de LBi, ci-dessous. L’usager Le consommateur serait en pleine mutation, passant d’un statut passif à un statut actif.

La communication en serait tout à fait bouleversée : au lieu d’être unidirectionnelle, allant du « mass média » à l’individu qui consomme une chose à la fois, elle deviendrait ultra complexe, marquée par le partage, l’appréciation et la production de tous types de contenus à tout moment.

Cette conception est bien entendu très pertinente au vu de certaines possibilités technologiques qui n’existaient pas avant le web 2.0. L’infographie met le doigt sur des tensions effectives en 2012 et rejoint en ce sens des préoccupations scientifiques, pédagogiques et sociales (cf. notamment les articles suivants : L’appropriation sociale du multimédia, Les usages à l’ère du numérique ou encore Internet, quand le murmure de la réception devient audible) :

  • multiplication des énonciateurs et des contenus (chacun peut produire des textes, vidéos, images, sons et les relayer au grand public),
  • possibilité de veille, de partage et de curation (chacun peut donner publiquement un écho – une critique – à un contenu qu’il n’a pas produit),
  • immédiateté et accès croissant,
  • etc.

Nous ne nions pas ces caractéristiques. Nous pensons d’ailleurs qu’elles pourraient faire l’objet d’une réflexion et d’apprentissages ciblés (cf. Une éducation critique aux médias ?) : question de la fiabilité (cf. mon mémoire), du pluralisme et de la redondance de l’information (cf. projet CNRS IPRI), etc.

Cependant, le groupe LBi nous propose ici une vision réductrice, selon des modèles qui veulent avant tout assujettir les individus aux lois marketing. On peut à ce sujet établir un parallèle avec le manque de rigueur de certaines formations professionnelles : la seule grille qui semble applicable et appliquée correspond à une logique marchande. C’est un document qui « présente bien », de manière ludique, selon des projets et objectifs « smart » : ce qui compte, ce sont l’efficacité et l’efficience de la communication qui va être mise en place stratégiquement.

Cette façon de présenter les choses fonctionne comme une métaphore : cette infographie donne à voir rapidement plusieurs dimensions de la réalité. Elle explique avec une grande clarté certaines dimensions du web et de ses enjeux en termes de communication. Cependant, elle occulte aussi les nuances possibles. Comme le disent Lakoff et Johnson (cf. Lakoff : « La discussion, c’est la guerre ») :

« En nous permettant de fixer notre attention sur un aspect d’un concept […], un concept métaphorique peut nous empêcher de percevoir d’autres aspects qui sont incompatibles avec la métaphore […] ».

Lakoff, G., Johnson, M., Les métaphores dans la vie quotidienne, Paris : Ed. de Minuit, 1985, p. 22.

La nuance n’est pas l’enjeu de LBi. Le risque cognitif est présent de laisser croire que nous vivons une révolution sans précédent. Non seulement, l’information est biaisée, mais en plus, elle n’est pas présentée comme telle (or, il y a une prétention d’attestation dans cette infographie). Notons que par la même occasion, laisser croire à une révolution laisse croire en même temps que LBi possède des compétences révolutionnaires : « le business change et se complexifie, nous apportons des solutions ».

Sur le web, on trouve régulièrement de très jolies infographies, élégantes et réalisées par des professionnels de la communication. Il arrive que certaines présentent des contenus biaisés ou pseudo-scientifiques. Un grand soin est accordé à la séduction (beaux graphiques et schémas, clairs), à la com’, mais pas nécessairement à l’info : ça en jette, mais au-delà, cela ne réifie-t-il pas la compréhension ? C’est logique : il s’agit généralement d’entreprises de publicité, de marketing ou autre.

L’interaction et la sociabilité existaient déjà avant les médias sociaux

Généralités : la dimension sociale des médias n’est pas neuve

La dimension sociale des médias n’est absolument pas neuve (cf. notamment C. Frank, La socialisation contre l’information). L’infographie laisse penser que le partage et les like sont révolutionnaires. En réalité, ils ne sont que la traduction physique de processus qui les précèdent. Un livre qui plait, il se fait prêter, et on en parle. Un film également. Un match de foot à la télévision pouvait engendrer un partage social intense bien avant la naissance de Mark Zuckerberg. Pour établir un parallèle, les rumeurs existent depuis bien avant l’apparition de la presse people. Imaginer qu’il n’y avait pas de relais et d’interactions par rapport à l’information avant le web 2.0, c’est véritablement manquer de lucidité. Que ces interactions se vivent différemment et à une autre intensité, on peut le concevoir. Mais il ne faut pas confondre.

Un média, c’est un ensemble constitué par une technologie plus les pratiques sociales de production et d’appropriation de cette technologie.

Eliseo Veron, De l’image sémiologique aux discursivités, in Hermès, 1994.

Les genres médiatiques (ludique ou divertissant, informatif ou culturel, fictionnel) engendrent par ailleurs des attitudes de consommation tout à fait différentes. C’est ainsi que des milliers de belges francophones ont pu croire que la Flandre déclarait son indépendance en 2006 en pensant voir une édition spéciale de leur JT (Bye Bye Belgium). Ou que des auditeurs ont cru au canular d’Orson Welles alors qu’ils n’auraient pas cru à une invasion extra-terrestre en regardant le film Independance Day (NB : à ce sujet, l’ampleur du phénomène est sans doute à nuancer). Cela signifie que les médias génèrent des attentes qui vont se trouver plus ou moins assouvies dans le public. En fonction de cela, ce public réagit : crédulité ou non, critique ou non, désintérêt ou non, partage ou non, etc. Déjà dans cet « avant » Internet et les réseaux sociaux, les marques devaient prendre en compte les différents publics et jongler avec ce qui était attendu d’elles.

Le besoin de feedback des annonceurs n’est pas neuf non plus. Il est illusoire de croire, comme le suggère l’infographie de LBi, que l’annonceur d’antan avait le contrôle total de son message et de ses effets. Au contraire, depuis des années, les études de marché et relatives aux consommateurs des médias se succèdent. Les sciences sociales sont d’ailleurs un excellent instrument de pouvoir (cf. Foucault) : elles permettent de catégoriser la population selon ses attentes. Il s’agit de la cibler en la connaissant davantage. Ainsi, études de marché, profils des publics, et principalement mesures d’audience de plus en plus précises (cf. le court article de l’Avenir : Pourquoi on mesure les audiences) contribuent à ajouter une dimension d’interaction aux médias traditionnels. Qu’est-ce qui plait ? Quels seront les sujets de conversation de demain ? Tel événement fera-t-il une bonne discussion pour les lecteurs le lendemain (c’est le principe du « buzz » : en bien ou en mal, « tout le monde en parle ») ? Combien de chances un article, un livre ou une dépêche audio a-t-elle d’être relayée par ses récepteurs ? Par ailleurs, des études qualitatives montrent que ce n’est pas parce qu’un média est quantitativement consommé qu’il n’est pas par ailleurs décrié, critiqué. Toutes ces interrogations et problématiques montrent l’importance accordée au comportement social de l’usager.

En bref, les annonceurs ne maîtrisent pas beaucoup moins les effets de leurs campagnes qu’avant. Une fois encore, il existe des dimensions de propagation et d’expression supplémentaires, mais il est faux de croire que celles-ci sont apparues du jour au lendemain ex nihilo. L’être humain parlait et socialisait bien avant d’écrire des statuts Facebook.

Pour approfondir ces pistes de nuance, examinons la pertinence des considérations de l’infographie pour les médias de masse traditionnels.

Livre et presse écrite

Par rapport au livre et à la presse écrite, on pourrait croire que le degré d’interaction est quasi nul. Et pourtant, plusieurs auteurs soulèvent la présence de pratiques de lecture (voir par exemple : Mauger et Poliak, Les usages sociaux de la lecture). Daniel Pennac parle par exemple de « droits du lecteur » (Pennac, Comme un roman) : le lecteur peut passer des pages et ne pas tout lire, revenir en arrière, mais aussi parler de son roman ou se taire, lire n’importe où… Allez à la bibliothèque : la personne au comptoir se fera généralement un plaisir de vous conseiller quant à telle ou telle lecture ou quant à son appréciation de tel ou tel auteur. Lisez-vous toutes les rubriques d’un journal, en commençant par la première page et en allant systématiquement jusqu’au bout ? Quid des publicités, quelle attention leur accordez-vous ? Ne vous arrive-t-il pas parfois de consulter un contenu pour le critiquer par la suite ? Ce sont en tout cas des tendances sociales qui existent. Pas nécessairement universelles, mais existantes. Umberto Eco (Lector in Fabula) pense qu’un texte est une coconstruction : il y a d’une part ce que l’auteur écrit, et d’autre part ce que le lecteur en lit et interprète en fonction.

Radio, télévision et jeu vidéo

Concernant la radio et la télévision, il existe également des comportements qui dépassent le cadre d’une hypothétique réception passive des contenus. Nous avons évoqué les matchs de football. Mais pensons à tous ces micro-agencements qui font que la télé ou la radio ne transmettent pas un même contenu de façon linéaire à une masse de personnes. C’est la publicité ? On coupe le son et on discute. Untel va aux toilettes. Un moment est inintéressant ? On change de chaine.

Le zapping est une pratique classique du téléspectateur. En conséquence, de nombreuses émissions fonctionnent aujourd’hui sur ce principe, par micro-séquences divertissantes. Canal+ use énormément de ce principe avec Le Zapping, Bref, le SAV des émissions, etc. (Au sujet du zapping : G. Bertrand, C. de Gournay et P.-A. Mercier, Fragments d’un récit cathodique – Une approche du zapping, Collection Réseaux, CNET, 1988. et  J.-L. Chabrol et P. Périn, Le zapping, Collection Réseaux, CNET, 1992).

C’est sans parler des personnes qui regardent la télévision ou écoutent la radio durant les repas ou en lisant un bouquin, ou encore de ceux qui la mettent en bruit de fond alors qu’ils sont en train de discuter. C’est sans compter également les lieux où le média est consommé de manière collective : télévision dans les bars ou les salles de sport, radio dans les salons de coiffure, les transports en commun ou les grandes surfaces, etc.

Tous ces éléments peuvent paraître anodins. Pourtant, ils contredisent l’idée selon laquelle les individus consommateurs des médias traditionnels recevaient passivement un seul contenu à la fois, sans interaction sociale.

La baisse du son pendant les publicités est un phénomène constaté et bien connu des diffuseurs (cf. plaintes et décision du CSA relatives à l’intensité sonore des publicités). L’annonceur maîtrise-t-il vraiment l’impact de ses campagnes sur le public des médias traditionnels ? Plusieurs études relativisent l’impact des médias et de la communication : leurs effets ne seraient pas linéaires, pas immédiats et dépendraient de nombreuses variables sociales (cf. l’article Médias : censure, influence et pouvoir).

Notons que d’autres interactions plus ponctuelles sont possibles, notamment via certains programmes qui permettent des appels téléphoniques des auditeurs ou téléspectateurs. Il n’a pas fallu attendre les sms et Internet pour que Mme X ou Mr Y soient amenés à témoigner ou à réagir dans certains médias (idem dans les rubriques nécrologie et courriers des lecteurs des quotidiens et magazines).

Une dernière dimension interactive fondamentale de la radio et de la télévision réside dans les mesures et interprétations des audiences (médiamétrie). Les préoccupations du public sont reflétées par les audiences et la programmation se fait en fonction (cf. Etude comparative de RTL-TVI, LA UNE et TF1). Si la série Plus belle la vie passe en dessous d’un certain pourcentage de parts de marché, Plus belle la vie ne sera plus produite. Les annonceurs dépensent énormément d’énergie pour mesurer l’impact de leurs campagnes : celles-ci sont en mutation constante en fonction des retours critiques qu’ils recueillent, soit via les technologies (audiences), soit via d’autres biais (études qualitatives, études de marché, voire simplement du bouche à oreille)

Concernant le jeu vidéo, que l’on pourrait comparer aux réseaux sociaux, nous renvoyons à cet article qui affirme explicitement : le jeu vidéo n’a pas le monopole de l’interactivité.

L’analyse ne s’arrête pas là. Non seulement il existait de l’activité sociale très forte avant les réseaux sociaux, mais en plus, une consommation passive de différents médias existe toujours, y compris vis-à-vis de ceux-ci. Autrement dit, la communication « du bas vers le haut » (la voix des usagers) existait déjà auparavant. Et aujourd’hui, la communication « du haut vers le bas » (des influenceurs traditionnels vers un grand public) n’a pas disparu.

La passivité et la communication top-down existent toujours bel et bien

(et sur les réseaux sociaux également)

Il y a toujours des « influenceurs » et de la communication top-down.

Pour s’en convaincre, il suffit de regarder la figure ci-dessous. Il s’agit du compte Twitter de Barack Obama et du mien, en date du 24 février 2012.

Qu'il est old school ce Barack! Il fait de la communication top-down sur Twitter alors qu'au fond, il n'a pas plus de contrôle sur son message et son impact que moi. ...Vraiment ?

Qu’il est old school ce Barack ! Il fait de la communication top-down sur Twitter alors qu’au fond, il n’a pas plus de contrôle sur son message et son impact que moi.
…Vraiment ?

Est-ce véritablement les gens qui définissent ce que vont devenir les messages d’Obama, la « marque » Obama ? Je pense en ce qui me concerne que les marques ont encore de beaux jours devant elles.

Concernant la communication sur Twitter, François Jost émet un avis similaire au mien dans un article du Monde, intitulé « Twitter, un univers faussement égalitaire ».

Pour être plus général, les sites web et autres médias les plus suivis correspondent aux médias traditionnels, surtout écrits et audiovisuels (par exemple, les sites d’info, tels que la RTBF, LaLibre et LaDH, LeSoir et SudPresse en général, L’Avenir ou RTL en Belgique) et quelques autres qui ont percé grâce à Internet, surtout en France. En fait, les médias sociaux ne supplantent pas totalement les grosses structures qui les précèdent. Si Wikipédia, Google, Facebook, Twitter, Youtube et LinkedIn et quelques sites d’infos en ligne ou d’humour s’ajoutent aux autres géants des médias, il reste que les médias traditionnels ont aujourd’hui une forte présence sur Internet. Et la lecture de ceux-ci n’est pas fondamentalement différente, même si les possibilités existent.

De surcroit, le web n’a tué ni la lecture en général, ni la presse quotidienne, ni le cinéma (record 2011 en France), par exemple. La radio reste très écoutée en « heures de pointe » dans la voiture. L’industrie musicale est par ailleurs très représentée sur Internet : quand Beyoncé fait un pet sur Twitter, c’est la terre entière qui tremble (pic à près de 9000 tweets à la seconde lorsque celle-ci a annoncé être enceinte). Justin Bieber et les clips musicaux ont la cote sur Youtube (dans la mesure où on ne s’arrête pas aux commentaires concernant le pauvre garçon).

Enfin, il existe de nombreux usagers qui adoptent un comportement traditionnel sur les réseaux sociaux et Internet, c’est-à-dire le même que celui qu’ils ont face à un média radio, tv ou presse écrite. Ils ne tweetent pas, mais lisent les tweets de certains médias ou politiciens. Ils ne partagent pas. Ils ne donnent pas leur avis. Ils lisent, ils écoutent, ils regardent. Mais nous avons vu que ce n’était pas nécessairement si « passif » que ça…

En conclusion : une évolution, mais pas une révolution

Éviter les discours réducteurs et hâtifs sur les TIC

Pour revenir à un peu de théorie, on peut dire qu’il est réducteur et hâtif de crier à la révolution à chaque nouvelle innovation technologique. Il existe des technologies et usages de celles-ci qui n’ont pas duré, pas « percé ». Ces nouveautés ont tantôt été abandonnées, tantôt supplantées par une autre version d’elles-mêmes. L’histoire des techniques – comme celle des sciences – n’est pas linéaire, contrairement à la façon dont elle est généralement présentée dans les écoles (cf. notamment T. Kuhn et I. Lakatos concernant les sciences).

Ainsi, on peut par exemple explorer le modèle dit « de la double naissance » (Marion et Gaudreault, Cinéma et généalogie des médias, 2006) ou encore se référer à la thèse des 3 mimésis de Ricoeur. Pour faire simple, en réalité, un média nait d’abord sous une forme technique. Il s’inscrit alors dans une société qui le précède. Ensuite vient son appropriation sociale, en fonction d’usages précédents, d’un contexte, etc. Il se peut qu’il soit simplement rejeté ou mis de côté, et qu’il finisse par ne plus être utilisé de la manière qui a motivé sa création. Il ne faut pas croire qu’un média bouleverse toutes les pratiques du jour au lendemain.

A ce sujet, il convient d’ailleurs de ne pas confondre les effets de mode avec les révolutions. Ainsi, de nombreux « théoriciens » plus rigoureux les uns que les autres élaborent des recettes marketing à suivre sur les réseaux sociaux, les présentant comme les reflets du mode de vie qui s’impose désormais. Or, Facebook, il y a 10 ans, ça n’existait pas. Et qui sait s’il existera toujours dans 10 ans (Facebook, terminus en 2024 ?). Je ne dis pas qu’il va disparaitre, mais sans doute qu’il ne sera plus tout à fait comme aujourd’hui. Le web a déjà connu de très nombreuses mutations : mails, chatrooms, IRC, forums, BBS, msn/live messenger, blogs, wikis et désormais les réseaux sociaux. Si ceux-ci font certainement partie intégrante du social, ils ne suffisent pas pour autant à le définir intégralement.

Il ne faut donc pas aller trop vite en besogne. Même s’il est difficile d’être à la fois précurseur et prudent. Lorsque l’on fait de la prospective médias, c’est normal d’élaborer des hypothèses en fonction d’expériences concrètes et pertinentes.

LinkedIn selon Alain Gerlache

LinkedIn selon Alain Gerlache

Dans le tweet ci-dessus, par exemple, Alain Gerlache émet une hypothèse qui semble aller dans le sens de l’affirmation entre guillemets. Prudent, il la formule sous forme de question. Peut-être l’article cité a-t-il raison : LinkedIn remplacera un jour les cartes de visite. Observateur attentif et professionnel des médias, Alain Gerlache est l’auteur de nombreuses chroniques toutes plus intéressantes les unes que les autres (http://alaingerlache.com). Dans ce cas-ci, sa réflexion n’est-elle pas influencée par le contexte hypermédiatique dans lequel il évolue ? Quand bien même un million de belges sont présents sur LinkedIn en 2011 (ce qui est 25% de la population active, non 100% – selon Geeko – Le Soir), la carte de visite a-t-elle disparu pour autant ? Quelle est par ailleurs la longévité de LinkedIn, plus jeune que Justin Bieber ou les Pokémon ? Ce site va-t-il rester tel quel, ou progressivement être utilisé différemment ? S’agit-il d’un effet de mode, ou d’une véritable part de l’identité sociale collective ?

Il ne s’agit pas tant ici de remettre en cause l’affirmation de l’article ou la question d’A. Gerlache que de poser la question de ce qui est durable ou non dans les médias et les usages sociaux relatifs à ceux-ci. Plutôt que de prétendre aux révolutions et aux ruptures à chaque nouveau gadget (c’est ce que tendent à nous faire croire ceux qui les produisent), il convient de prendre un peu distance, d’autant plus par rapport à ce sujet qui est tout le temps « chaud », marqué par l’immédiateté. Dans quelles évolutions la société s’inscrit-elle ? Dans quelle société les évolutions prennent-elles place ?

Ces problématiques nécessitent aussi de prendre en compte les inégalités que ces technologies supposent. Hargittai parle aujourd’hui d’une double fracture numérique (Hargittai, SecondLevel Digital Divide : Differences in People’s Online Skills). Aujourd’hui, aux lacunes dans les compétences techniques (par exemple, ne pas pouvoir utiliser excel ou mettre à jour son navigateur) s’ajoutent des lacunes sociales, par rapport aux usages de ces techniques. Quid des pratiques « old school » et de leur pertinence aujourd’hui ?

En éducation aussi

En éducation aussi, des tensions sont très présentes concernant les « TIC » et leur place dans l’enseignement. Tantôt des discours médiaphobes invitant à éduquer à « faire attention aux méchants-médias ». Tantôt des discours idéalistes considérant les nouvelles technologies comme autant d’opportunités de révolutionner la pédagogie (Cf. Bruillard, Discours généraux sur les TIC en éducation : beaucoup de slogans peu étayés, en quête de débats). Ainsi fleurissent parfois des dispositifs farfelus qui bafouent les réflexions et questionnements les plus élémentaires de la didactique.

Ne porte-t-on pas parfois trop d’attention aux modes immédiates, à des conventions passagères, par rapport aux études rigoureuses durables ? Ne serait-il pas possible de parler davantage de médias sans adopter un point de vue marketing / NTIC / business ?

Communication et société : que peut-on retenir, au final ?

Cela fait déjà plusieurs années que la communication n’est plus vue seulement comme une transmission unidirectionnelle de contenus (cf. théories de communication, une source synthétique (english) : http://www.aber.ac.uk/media et une présentation des théories de la communication en fonction des métaphores qui les fondent, par Gérard Pirotton). Tout comme ce point de vue s’est enrichi, nos pratiques médiatiques ont changé socialement. Il ne s’agit généralement pas tant de révolutions que de lentes évolutions, des techniques mais aussi des usages relatifs à celles-ci. Facebook occupe désormais une place énorme dans le quotidien de plusieurs millions d’individus. Y font-ils pour autant des choses fondamentalement différentes de ce qu’ils faisaient avant ? Sont-ils plus actifs et leurs liens sont-ils plus critiques et interactifs ? Abandonnent-ils les références d’hier ? L’écriture, la lecture, la critique et le partage des textes sont-ils si différents d’avant ? J’en doute. Cela n’empêche pas que Facebook contribue probablement à renforcer certaines dynamiques et à en insuffler de nouvelles, comme d’autres réseaux sociaux et outils web.