Analyse des chaines Youtube les plus populaires en France

Quelles sont les représentations sociales véhiculées par ces chaines Youtube ? De quels sujets traitent vidéos les plus consultées par les français ?

Dans cet article, nous nous prêtons à une courte analyse (essentiellement quantitative[1]) de quelques tendances des chaines Youtube populaires en France, telles qu’elles se reflètent à travers les Youtubeur Awards 2015.

Le site Youtubeur Awards propose en effet de « voter pour [s]on youtubeur favori ». Par sa sélection de chaines et sa catégorisation, il donne des indicateurs intéressants à propos l’offre et la consommation de contenus sur Youtube en France.

Humour, beauté, fitness, gaming, cuisine et culture (varia)

Les six catégories mises en évidence sur le site Youtubeur Awards sont les suivantes : « Humour », « Sport », « Culture », « Beauté », « Gaming » et « Cuisine ».

Cette typologie semble globalement bien refléter le contenu des soixante-quatre chaines à succès, surtout en ce qui concerne les catégories « Humour », « Beauté », « Gaming » et « Cuisine ».

La catégorie « Sport », qui compte six Youtubeurs, ne concerne en réalité qu’un seul type de sport : il s’agit uniquement de musculation / fitness.

« Culture » mêle quant à elle des thèmes assez divers. Elle regroupe notamment des « savoirs populaires », voire « insolites ». On y trouve ainsi par exemple l’explication de l’expression « pleurer comme une madeleine », ou encore la réponse à la question « quelle distance peut-on écrire avec un crayon ? ». Ensuite, elle englobe des chaines de vulgarisation scientifique. Elle compte également un Youtubeur réalisant des émissions sur des légendes urbaines et étrangetés (paranormal dans la culture dite « populaire »). Enfin, plusieurs chaines Youtube de la catégorie « Culture » présentent des reprises (covers) et parodies (notamment de clips musicaux ou de films), ou encore des chroniques / critiques d’art (cinéma et musique).

La sélection et la subdivision du site Youtubeur Awards entendent refléter non seulement l’offre de contenus (ce que les principales chaines produisent), mais aussi la consommation de ceux-ci (ce que les français consomment majoritairement sur Youtube).

Tout en sachant que celles-ci n’offrent pas un regard exhaustif de ces réalités sociales, elles semblent toutefois montrer le caractère relativement restreint de ce qui importe au consommateur de Youtube. Les chaines populaires sur Youtube ne refléteraient pas tant ce qu’il faut penser de différents sujets, mais bien plutôt les différents sujets à propos desquels il est important de penser. Autrement dit, le divertissement (humour, gaming), la beauté, le fitness, la cuisine et la « culture » représentent ce qui est important sur Youtube[2].

Des genres (télévisuels) absents ?

En comparaison avec les genres « classiques » des chaines et émissions de télévision[3], nous observons ici la quasi absence des fictions (pas de chaîne amateur de séries, films, dessins animés ou courts-métrages) et de l’actualité générale. Bien sûr, la plupart des chaines produisent des contenus hybrides (mêlant parfois des éléments proches du documentaire avec des procédés relevant de la fiction ou du moins de la mise en récit, par exemple), mais globalement ceux-ci relèvent davantage du divertissement et de la « vie quotidienne ». Nous y reviendrons.

En prolongement, nous pourrions nous interroger : la quasi absence des fictions et de l’actu générale témoigne-t-elle d’une « place à prendre » sur le marché des chaines Youtube, ou reflète-t-elle l’échec de ce type de vidéos à « percer » comme le font les vidéos de divertissement ? Quid par ailleurs des autres sports que le fitness, des émissions de variétés de type talk shows, etc. ?

Profil type du Youtubeur à succès

Youtubeurs

Youtubeurs à succès (2015)

Parmi les 64 chaines mises en évidence sur le site des Youtubeur Awards, 62 % des intervenants sont des hommes, pour 38 % de femmes.

L’âge moyen des Youtubeurs à succès en France est de plus ou moins 25 ans. Peu d’entre eux dépassent les 30 ans, et certains sont encore mineurs.

Des chaines masculines et féminines

Si la proportion des intervenants masculins (62 %) et féminins (38 %) peut interpeller, sa répartition est tout aussi intéressante.

En effet, lorsque l’on examine la présence des intervenantes sur Youtube, nous constatons que celle-ci se situe essentiellement (84 %) dans les catégories « Beauté » et « Cuisine ». Dans les catégories « Culture », « Sport » (fitness) et « Humour », les femmes représentent respectivement 17%, 17% et 5 %, tandis que les vidéos « Gaming » sont à 100 % masculines.

A contrario, la catégorie « Beauté » est féminine à 100 %. Les Youtubeuses y donnent des conseils « make-up », « look » ou encore alimentation et minceur.

 Youtubeuses-beautéYoutubeurs-cuisine

Youtubeurs-fitnessYoutubeurs-cultureYoutubeurs-humourYoutubeurs-gaming

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A ce niveau, on peut se demander dans quelle mesure la catégorie « Fitness / musculation » n’est pas le pendant connoté « masculin » de la catégorie « Beauté ». En effet, les deux insistent sur le physique en proposant également des éléments de diète. Les vidéos de ces catégories reflèteraient les représentations sociales stéréotypées de la beauté du corps des femmes et des hommes.

> [Mise à jour] Voir aussi la proportion et la répartition des vidéastes masculins et féminins à succès sur Youtube sur base des invités (127) de la Vidéo City Paris 2015 > Télécharcher le pdf.

En 2015, 71 % des vidéastes invités à l’événement étaient des hommes. La répartition par genre est la suivante : « Beauté » est 100 % féminine, « Sport » (fitness et « street style ») est 100 % masculine. « Humour » et « Musique » comptent 86 % d’hommes pour 14 % de femmes. Enfin, ces dernières ne représentent que 10-11 % des vidéastes invités pour les catégories « Gaming » et « éducation ».

Analyse sur base de l’échantillon et de la catégorisation des vidéastes invités à la Video City Paris 2015.

Prolongements

Cette analyse sommaire pourrait être menée plus en profondeur. Elle pourrait être complétée par de l’analyse qualitative, notamment au niveau des usages de consommation des publics.

Il n’est pas dit par exemple qu’aucune jeune femme ne regarde des vidéos de musculation / fitness, de gaming et de culture. Ce n’est pas parce que l’offre de contenus semble orientée du point de vue masculin ou féminin que ceci est imperméable. En outre, la plupart des Youtubeurs varient leur programmation, quitte à s’écarter parfois des thèmes annoncés sur leur chaine.

Aussi, l’état des lieux dressé ici ne dit absolument rien des raisons pour lesquelles les utilisateurs consomment ou non une chaine spécifique.

De plus, du point de vue quantitatif et comme nous l’avons évoqué plus haut, les indicateurs utilisés ici sont relativement restrictifs[4]. Nous pourrions prendre en compte un échantillon plus grand (voir notamment la proportion et la répartition des vidéastes masculins et féminins à succès sur Youtube sur base des invités (127) de la Vidéo City Paris 2015), et par la même occasion interroger la présence (ou pas) de catégories ou sous-catégories spécifiques supplémentaires.

Enfin, le paysage des chaines Youtube semble encore se diversifier. La situation peut encore évoluer, révélant de nouvelles tendances et/ou permettant à d’autres de se stabiliser.

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[1] Cf. LECOMTE, J., « Des méthodes de collecte en sciences humaines et sociales », in Des critères de validité scientifique en sciences humaines et sociales, 2015.

[2] En guise de prolongement, on peut se demander dans quelle mesure l’offre de contenus influence la consommation, et vice-versa. Cf. aussi LECOMTE, J., « L’agenda setting », in Médias : influence, pouvoir et fiabilité, Paris : L’Harmattan, 2012, pp. 47.

[3] ANTOINE, F., « A chacun sa recette », in Grilles sur le gril : la programmation télé passée au crible, Bruxelles : Media-Animation, 2006, p.7.

[4] Au niveau méthodologique, nous avons opéré plusieurs choix par commodité. Comme nous l’avons dit, cette analyse se base essentiellement sur la sélection et le classement disponibles sur le site Youtubeur Awards. Il s’agit d’ores et déjà d’une construction, dont il serait intéressant d’interroger la représentativité de manière plus fine[#]. Notons aussi que nous aurions pu privilégier le terme « vidéaste sur Youtube » au terme « Youtubeur », que nous utilisons ici comme synonymes.

2 commentaires

  1. Du fait de la note 4, l’analyse porte peut-être davantage sur la perception des vidéastes à succès sur Youtube par les créateurs des Youtubeur Awards que sur les vidéastes à succès eux-mêmes.

    Il se peut par exemple que les personnes à l’origine du site (des étudiants) aient choisi des vidéastes ayant une relative proximité avec eux, notamment au niveau de l’âge, des thèmes d’intérêt, etc.

    Nous aurions pu faire la même analyse en fonction de la liste des invités de marque à la Video City Paris 2015, par exemple, avec laquelle il y a pas mal de redondances, mais aussi quelques différences, y compris au niveau de la catégorisation. En l’occurrence, « Education » et « Musique » remplacent « Culture » et « Cuisine », mais les catégories « Beauté », « Humour », « Sport » et « Gaming » sont communes. Sport est ici une catégorie à 100 % masculine, mais inclut du « Street style » et non seulement de la musculation. La catégorie « Musique » concerne des covers et reprises. La catégorie « Education » propose une chaine de cuisine, mais aussi des vidéastes dont le thème relève de la philosophie ou des sciences dites humaines. « Beauté », « Humour » et « Gaming » sont très similaires, avec tout de même quelques présences féminines dans la catégorie « Gaming ».

    Je me suis livré à l’analyse détaillée en ce qui concerne la proportion et la répartition des vidéastes masculins et féminins invités à la Vidéo City Paris 2015 > Télécharger le PDF.

    Pour d’autres prolongements méthodologiques, lire mon dossier intitulé Des critères de validité en sciences humaines et sociales (2015).

  2. [Version raccourcie] Analyse des chaines Youtube les plus populaires en France

    En 2015, la première édition de l’événement « Vidéo City Paris » a vu le jour. Il s’agit d’une sorte de salon consacré aux vidéastes célèbres sur Youtube. Peu de temps après, le site « Youtubeur Awards » a été créé et proposait d’élire les meilleurs Youtubeurs de France, parmi une liste de candidats sélectionnés. Une excellente opportunité d’analyser qui sont et de quoi parlent ces vidéastes.

    Tout d’abord, le « youtubeur à succès » a plus ou moins 25 ans en moyenne. Les invités à la Vidéo City Paris étaient majoritairement masculins (71 %). Le site Youtubeur Awards accorde quant à lui un peu plus de place aux femmes (38 %), sans toutefois rétablir la parité.

    Youtube, une industrie culturelle

    Les vidéastes sont catégorisés en plusieurs catégories, qui diffèrent sensiblement d’un site à l’autre. Globalement, on peut mettre en évidence les thématiques suivantes :

    • « Humour » (Norman, Natoo…)
    • « Beauté » (EnjoyPhoenix, Clara Channel…)
    • « Sport » (essentiellement fitness / musculation : TiboInshape, BodyTime…)
    • « Education » / vulgarisation (La Tronche en Biais, Cyrus North…)
    • « Cuisine » (FastGoodCuisine, Emma in the kitchen…)
    • « Musique » (Comité des reprises, Cover Garden…)
    • « Gaming », jeux vidéos (Cyprien gaming, Squeezie…)

    Quelle influence cela peut-il avoir ? En fait, les chaines populaires sur Youtube ne refléteraient pas tant ce qu’il faut penser de différents sujets, mais bien plutôt les différents sujets à propos desquels il est important de penser. Autrement dit, le divertissement (humour, gaming), la beauté, le fitness, la cuisine et une certaine forme de culture (éducation informelle, mais aussi culture populaire…) représentent ce qui est important sur Youtube.

    En comparaison avec les genres « classiques » des chaines et émissions de télévision, nous observons ici la quasi absence des fictions (pas de chaîne amateur de séries, films, dessins animés ou courts-métrages) et de l’actualité générale. Bien sûr, la plupart des chaines produisent des contenus hybrides (mêlant parfois des éléments proches du documentaire avec des procédés relevant de la fiction ou du moins de la mise en récit, par exemple), mais globalement ceux-ci relèvent davantage du divertissement et de la « vie quotidienne ».

    Des représentations des genres

    Lorsque nous examinons la présence des intervenantes sur Youtube, nous constatons que celle-ci se situe essentiellement dans les catégories « Beauté » et « Cuisine ».

    Dans les catégories « Education (vulgarisation, savoirs populaires) », « Musique », « Sport (fitness) », « Gaming » et « Humour », les femmes sont moins de 20 %. A l’inverse, la catégorie « Beauté » est féminine à 100 %. Les Youtubeuses y donnent des conseils « make-up », « look » ou encore alimentation et minceur.

    A noter que nous pourrions nous demander dans quelle mesure la catégorie « Fitness / musculation » n’est pas le pendant connoté « masculin » de la catégorie « Beauté ». En effet, les deux insistent sur le physique en proposant également des éléments de diète. Les vidéos de ces catégories reflèteraient les représentations sociales stéréotypées de la beauté du corps des femmes et des hommes.

    Ces constats ne disent rien de la consommation effective : il est probable qu’un public féminin regarde des vidéastes masculins, et vice versa. Par ailleurs, les sélections et catégorisations de la Vidéo City Paris et du site Youtubeur Awards pourraient être remises en question. Il est toutefois possible de s’interroger sur la place de certains thèmes dans l’industrie du divertissement, sur leurs impacts sur la société et sur les représentations sociales que les vidéastes amateurs en ligne colportent parfois sans le savoir.

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