Infobèse toi-même !

Les concepts d’« information overload » ou d’« infobésité » sont assez courants aujourd’hui. Concrètement, ils veulent dire que nous sommes submergés d’information. Etant parfois de mauvaise qualité, celle-ci est assimilée à de la malbouffe : à trop en recevoir de toutes parts, nous deviendrions obèses, en surpoids de cette masse graisseuse d’infos…

De nombreuses sources (statistiques, infographies, etc.) pointent l’augmentation exponentielle de données en ligne, notamment. Chaque minute, des dizaines d’heures de vidéos sont ajoutées sur Youtube. Il est donc matériellement impossible d’en voir ne serait-ce qu’un millième. Une journée correspond quant à elle à des milliards d’emails envoyés, des centaines de millions de tweets publiés, des millions de photos postées, des centaines de milliers de sites créés… Et ce, rien que sur Internet (parce que oui, il y a encore de l’information diffusée ailleurs).

La question n’est pas neuve (comme en général lorsque l’on postule aveuglément que les « nouveaux » médias révolutionnent totalement le monde). Déjà « du temps des livres », on se posait la question du trop-plein d’informations. Le concept d’« information overload » date d’ailleurs des années 1970. Dans un article sur Internetactu.net en 2012, Xavier de la Porte remonte plus loin encore : « Alors que nous nous imaginons aujourd’hui engloutis par un torrent de données numériques, les lecteurs allemands du 18e siècle, par exemple, se percevaient comme infestés par une peste de livres, les livres se répandant telle une épidémie dans le lectorat ».

Le terme d’économie de l’attention date quant à lui de 1971, selon Wikipédia. Concrètement, cette notion signifie que l’abondance d’information est liée à la pénurie d’une autre ressource, consommée par cette info. Ce qu’elle consomme, justement, c’est notre attention. Le vrai problème, en somme, ce n’est pas l’abondance de données, mais qu’un cerveau humain soit incapable de les gérer en totalité.

Il est possible d’aller encore plus loin dans le raisonnement. En effet, d’énormes quantités de données étaient produites avant le numérique, mais aussi avant les livres, simplement par la parole et les actions de chacun. Avant les blogs, certains tenaient un journal intime, écrivaient des nouvelles et des poèmes, ou encore discutaient de divers sujets avec d’autres personnes. Avant Facebook, les gens appréciaient des contenus (« j’aime ») et en parlaient à leurs pairs, c’est-à-dire entre autres leurs collègues, leurs familles, leurs amis et leurs connaissances (« je partage », « je commente », « je recommande »).

La différence aujourd’hui, c’est que ces interactions, comportements et opinions informels sont numérisés, « formalisés » et stockés dans l’immense mémoire du web.

En bref, cette masse d’information n’est pas vraiment nouvelle : elle prend juste une forme différente, qui la rend potentiellement accessible plus durablement, éventuellement à une plus grande quantité d’individus, et ce d’une autre manière.

Il serait faux de croire que cela change radicalement la donne. En effet, il y a très peu de chances que je m’intéresse aux « likes » d’un inconnu à l’autre bout du monde, même si ceux-ci me sont accessibles. La vraie question au niveau des usages n’est pas celle de la masse de données dans l’absolu, mais de la masse de données à laquelle je m’expose, c’est-à-dire de celle qui est pertinente pour moi et qui m’est accessible.

Il demeure certain que des myriades de nouveaux contenus sont diffusées quotidiennement. A cela, on pourrait ajouter qu’il existe de nombreuses redondances et que la diversité est également un enjeu majeur, face à une uniformisation de la consommation. En effet, certains contenus sont massivement partagés et consultés, tandis que d’autres seront très vite relégués aux oubliettes du web.

Il n’est pas question de dire que le problème de la quantité de l’information disponible n’existe pas : effectivement, il y a de véritables enjeux à mener une réflexion sur l’optimisation de l’allocation de notre « temps de cerveau disponible ». Cependant, il est faux de laisser croire que le bruit présent sur le web rend sourds tout le monde : en effet, celui-ci ne nous atteint que lorsque nous nous y exposons… Par ailleurs et pour prolonger les métaphores, il peut être dommage de ne s’exposer qu’à la même soupe de mélodies pop formatées…