Tout le monde connait grosso modo le système métaphysique Freudien (la psychanalyse freudienne relève davantage de postulats philosophiques que d’une science, comme le fait notamment remarquer Karl Popper) :
- L’inconscient, le « ça » relève des pulsions, des attraits primaires (physiques, on pourrait même dire « bestiaux »), des besoins animaux (se nourrir…). C’est aussi le niveau d’un certain ressenti.
- Le niveau de la norme, de la convention (le « surmoi »). Ce sont les lois, les règles de bienséance, interdits (religieux), tabous, règles comme la monogamie, etc.
> Nous n’approfondissons pas ici les nombreuses (et pour la plupart légitimes) critiques sur le système freudien et la psychanalyse (notamment en tant que pseudoscience) en tant que tels, mais nous limitons à une certaine réappropriation de certains concepts-clés.
Selon un certain sens commun, l’inconscient, c’est la fatalité, on peut ne pas le suivre, mais c’est mauvais. Il faut se laisser y succomber. En ce sens, la liberté, c’est de choisir de se laisser aller à l’inconscient. La vie humaine, pour le sens commun aujourd’hui, se réduit à céder à ses pulsions et à « en profiter », interprétant Épicure tout aussi mal que Freud, qui qualifiait d’ailleurs la découverte de l’inconscient d’humiliante pour l’humanité. En bref, un paradoxe qui dirait à la fois « je suis prisonnier de mon inconscient, je ne peux faire que le suivre, c’est ce qu’il y a de mieux. » et « c’est là qu’est notre liberté ». C’est aussi la porte ouverte à un égoïsme exacerbé : « c’est moi, c’est mes pulsions, avant tout le reste ».
De plus, toutes les dimensions émotionnelles voire sentimentales sont identifiées à l’inconscient, et réduites à ses caractéristiques. Il existe une tendance à réduire ceux-ci à de vulgaires influx physiques inéluctables. Pour être plus clair, c’est comme si on disait « tel sentiment est en gros une pulsion que tout le monde reçoit inévitablement de son inconscient ». Il faut y succomber. Pour prendre un cas concret, disons qu’un homme croise une femme dans la rue. Elle lui plait. Selon la logique précédemment décrite, il faudra qu’il agisse, selon les pulsions « éros », pour qu’elle se retrouve dans son lit (qu’il soit « en couple » ou non). Dans le cas opposé, si une femme déteste un homme, son inconscient voudrait qu’elle agisse, selon les pulsions « thanatos », pour lui pourrir la vie (voire le tuer).
Pour ce même sens commun, le niveau de la norme (règles, morale, religion…), c’est l’entrave à la liberté. La loi, les règles, tout ce que l’être humain a mis en place, ce n’est que de l’arbitraire ridicule, que du vent, qui nous empêche de vivre pleinement notre inconscient, notre liberté. En bref, l’être humain serait le plus libre s’il laissait cours à son inconscient et cédait à toutes ses pulsions, de manière immédiate (c’est aussi là-dessus que jouent certains publicitaires). La société rêvée pour un certain sens commun, ce serait une société sans lois, sans morale, qui permettrait à chacun de céder à ses pulsions, à ses « sentiments », si l’on préfère.Je vois cette mauvaise interprétation surtout comme une mauvaise excuse lorsqu’on fait du mal à autrui : « je ne pouvais pas faire autrement que de suivre ma pulsion. D’ailleurs, tout le monde le fait. Puis c’est pas moi qui le dis, c’est Freud ». La mauvaise connaissance de Freud est une excuse toute trouvée à des attitudes individualistes et centrées sur l’égo.

Deux critiques à cette vision qui n’est même pas celle de Freud, à mon avis :
- D’abord, que les sentiments ne se limitent pas aux pulsions. Effectivement, très vite, dans la vie quotidienne, si l’on compare le mal que l’on peut faire à un proche à cause d’une pulsion, on est rapidement amené par soi-même à surmonter cette pulsion, à passer outre. De même, le mal que l’on peut se faire à soi-même, en succombant à une pulsion, qu’il y ait une loi ou non.
- Ensuite, que la liberté ne se situe pas au niveau de l’inconscient, mais relève bien plutôt du troisième niveau du système : la conscience. « Là où le Ca était, Je dois advenir » écrit d’ailleurs Freud.
- L’inconscient peut-il servir d’excuse ?, sur le site ac-grenoble.fr (découvert après avoir rédigé cet article).
- Notez que je ne parle nulle part de « choix rationnel » et n’utilise pas le concept de raison. Je pense que le terme de « conscience » est plus approprié, car la raison rationaliste (pardonnez ce terme) semble parfois se limiter à un calcul. Or, on le constate chaque seconde, nous sommes confrontés à des tonnes de situations qui ne font pas appel à du calcul à proprement parler, du moins pas sous sa forme mathématique. La notion de conscience (responsable) me semble plus significative, et à mes yeux, elle fait droit aux sentiments que nous éprouvons.
- Arguments pour un système qui mette la relation au centre plutôt que l’individu : les questions liées au concept d’identité et introduction à la pensée de Serge Paugam
- Notes concernant la vision Ricoeurienne de l’inconscient chez Freud.
- Parallélisme entre 4 philosophies en trois temps (Hegel, Ricoeur, Freud et Peirce)
- Ceci est un article lié à des tendances sociales. Il ne reflète pas un universel. Pour une discussion à ce sujet : réserves à parler de « la » société.