Facebook est-il encore tendance ?

Plusieurs observateurs envisagent le déclin du réseau social. Il n’aurait notamment plus la cote auprès des ados. S’il est vrai que le réseau social est fortement critiqué, il ne faut pas l’enterrer trop vite…

Déjà en 2011, certains n’hésitent pas à « prédire » la mort de Facebook. D’autres gros acteurs online ont en effet déjà rendu l’âme depuis la massification d’Internet. Certains papys et mamys ont connu Usenet, les chatrooms IRC ou encore sur Caramail, tous plus ou moins relégués aujourd’hui aux antiquités du Web. Il n’y a pas si longtemps, Microsoft disait adieu à MSN Messenger. Tous ces acteurs de la toile ont connu une phase d’ascension, ensuite de stagnation et enfin de déclin, correspondant par ailleurs à l’arrivée de concurrents plus ou moins puissants. Facebook entrerait doucement dans une phase plus ou moins avancée de stagnation.

Et puis, il y a les jeunes, ceux qui définissent ce qui est « in ». Ceux-ci se désintéresseraient du réseau social et opteraient pour d’autres outils, notamment Instagram, Pinterest, Tumblr, les jeux en ligne ou encore les applications comme Snapchat. Au fond, il n’y avait rien de plus prévisible que cette tendance, dans la mesure où les 30 ans et plus ont désormais massivement rejoint Facebook, et ce depuis 2009. Or, Facebook est avant tout un lieu de socialisation, et peu d’adolescents apprécient de socialiser en présence de leurs parents (voire d’être potentiellement épiés par eux, certains parents n’hésitant pas à revendiquer être sur Facebook pour surveiller leur enfant !).

D’autres critiques envers Facebook sont devenues récurrentes : d’abord, il y a l’omniprésence de la publicité ou encore les politiques de confidentialité peu respectueuses de la vie privée et des données personnelles.

Aussi, Facebook est devenu très généraliste : Facebook n’a jamais été autant critiqué que depuis qu’il est entré en bourse, repose sur une logique commerciale (dont découle sa politique de confidentialité) via sa publicité, généralise son offre et est ouvert au tout-venant. A ses débuts, il s’agissait d’un réseau social très sélectif, sans publicité et ayant une interface très épurée. C’est comme si un organisateur d’événements était passé de soirées VIP organisées pour 100 personnes à de grandes kermesses organisées pour 10 000. La quantité est arrivée après la qualité, et en conséquence de celle-ci. Mais ne l’a-t-elle pas éclipsée également ?

Enfin, en parallèle de ces critiques, on constate une diversification des réseaux sociaux : Linkedin et Academia.edu se destinent à un usage professionnel, Twitter est un relais informationnel (permettant aussi les commentaires en temps réel et le chat, à forte valeur de socialisation), Google+ mise sur la socialisation « intimiste » et le visuel avec ses conversations vidéo à plusieurs et son système de « cercles », Tumblr, racheté il y a peu par Yahoo !, redonne quant à lui la possibilité de produire ou relayer de l’expression de soi (des opinions, des analyses, de la veille documentaire, etc.) en tant que blog, Instagram et Pinterest sont focalisés sur les contenus imagés (voire les gifs animés et courtes vidéos avec des acteurs comme Vine), Senscritique et Babelio (dont Facebook va probablement copier la logique de notation d’œuvres) sont spécialisés dans les contenus culturels (littérature, cinéma, séries, jeux vidéos…), etc.

Tout cela semble confirmer les discours selon lesquels Facebook risque de décliner fort prochainement. Néanmoins, d’autres éléments laissent penser que le multimilliardaire Mark Zuckerberg ne doit pas – encore – trop s’inquiéter.

Premièrement, Facebook est généraliste. Le comparer à des niches très spécialisées n’a pas beaucoup de sens. Au même titre qu’un Google, un Wikipédia ou un Youtube, Facebook fournit massivement un service générique qu’un autre acteur pourrait difficilement offrir à cette échelle. Effectivement, LinkedIn, Twitter, Tumblr, Pinterest ou d’autres encore risquent de lui pomper des usagers, en termes de temps d’utilisation. Mais ils ne se substituent pas à Facebook : ils proposent simplement autre chose. D’ailleurs, pour s’inscrire sur ces réseaux, il suffit de s’identifier via son login Facebook. Le seul concurrent plus ou moins généraliste, Google+, peine depuis 3 ans à affirmer sa plus-value. On peut faire le lien avec les boites de courrier électroniques, pourtant aujourd’hui polluées par le spam, qui ont de nombreux concurrents, mais aussi leur propre spécificité : les mails continuent à exister.

Deuxièmement, contrairement à ce que certains affirment, ce n’est pas encore la débandade sur Facebook, ni au niveau du nombre d’utilisateurs (plus d’un milliard dans le monde. Un Belge sur deux y serait inscrit), ni au niveau de l’engagement, du temps de « consommation » du réseau (Facebook totalise 83% du temps passé sur les réseaux sociaux et il est le site sur lequel les Français dépensent le plus de temps). Et puis, si plusieurs chiffres confirment que les jeunes américains s’en lassent, ils y restent malgré tout « pour ne rien rater » : la participation au réseau représente désormais une partie importante de la socialisation d’un adolescent.

Enfin, nous parlions d’Instagram tout à l’heure. Ce que peu d’internautes savent, c’est qu’Instagram est aujourd’hui la propriété de Facebook. En effet, les sociétés puissantes de la toile, comme Yahoo !, Google, Microsoft ou Facebook peuvent se permettre de racheter leurs concurrents, ou encore de fusionner leurs services.

En conclusion, la mort de Facebook, ce n’est pas pour demain. Cela n’empêche que Mark Zuckerberg a fort à faire s’il veut continuer à séduire les usagers du futur. Alors qu’il avait l’ambition non dissimulée d’engloutir le reste du Web, il est fort probable qu’il doive plutôt apprendre à gérer et à faciliter la cohabitation avec les autres services en ligne et sur mobile…

Sources

(Références par ordre d’usage dans l’article)

[Edit 2014] Lire aussi : Vincent GLAD, « Facebook ne peut pas mourir, il est devenu l’annuaire universel » (SLATE.FR), 2014.

Je ne suis pas à 100% d’accord avec ce qu’écrit ici Vincent Glad, mais son analyse est très pertinente, au moins sur deux points :

  • D’abord, sur sa critique de la pseudo-étude massivement relayée qui conclut la mort de Facebook dans 2 ans sur base de l’application d’un modèle d’épidémiologie à la courbe d’adoption de MySpace. Si la méthodologie prête à sourire, il est clair que celle-ci n’a pas beaucoup de sens. L’idée en elle-même n’est pas idiote, mais pour fournir des résultats un peu plus solides, il aurait fallu comparer un ensemble représentatif des courbes d’adoption des innovations sur le web, et non seulement faire correspondre une seule d’entre elles avec un modèle qui ne relève aucunement du domaine étudié (cf. Un exemple de mise en doute : la causalité). Autrement dit, il aurait fallu considérer la courbe d’adoption de MySpace, mais aussi celles d’IRC, des e-mails, du chat caramail, de MSN, des forums ou communautés en ligne, des Skyblogs, de Skype, etc.
  • Ensuite, à propos du statut de Facebook comme annuaire universel. Derrière son apparente simplicité, Vincent Glad livre là une observation très fine du réseau social. Je ne sais pas si celui-ci va « mourir » ou non à terme (et c’est là-dessus que je prends une distance avec l’auteur). Néanmoins, là où Facebook échoue effectivement, c’est au niveau de sa prétention à engloutir tout le web. A force de vouloir être généraliste, il finit par perdre de sa plus-value. De nombreuses alternatives à Facebook voient le jour, et il ne lui suffit pas de toutes les racheter au fur et à mesure. Ce qui lui reste, actuellement, c’est ce statut d’annuaire géant. Facebook est à comparer avec des acteurs comme Google ou Wikipédia, sachant que ceux-ci ont un usage finalement fort spécifique en tant que tels…