Cette expérience sur Facebook va vous surprendre !

Article publié initialement sur Facebook.

Coucou ami Facebook !

Si ça te dit, je vais te raconter une petite expérience assez insolite (intro et titre putaclic assumés).

J’ai voulu comprendre pourquoi tu vois certains amis et pas d’autres sur ton fil d’actu Facebook, pourquoi ce sont toujours les mêmes qui likent tes contenus, etc.

Comme j’ai constaté que je voyais souvent les statuts et partages des 10-15 mêmes personnes, je me suis dit que j’allais les masquer pour voir mon nouveau fil d’actus. Je me suis dit « ok, c’est parce que (Facebook croit que) ce sont mes 10 meilleurs amis, donc en fait je ne vois pas tous les 500+ autres ».

Devine quoi, ami Facebook.

J’ai eu de nouveau une 10-15aine de personnes qui squattaient mon fil d’actus, au détriment des autres. Ce n’est même pas nécessairement celles qui postent le plus. Non, juste Facebook a décidé que c’étaient mes 15 nouveaux meilleurs amis.

Alors, évidemment, il y a des amis qui floodent postent énormément sur Facebook. Pour ceux-là, j’ai essayé de tester les options « voir moins ». Ca avait deux « effets » : soit ça ne changeait absolument rien, soit au final je finissais par ne plus les voir du tout. Facebook pas comprendre que moi vouloir avoir nouvelles d’amis proches, mais pas vouloir voir le dernier test mangeur de données qu’ils ont rempli.

J’ai continué deux ou trois fois et chaque fois, c’était la même chose. Autant te dire qu’il y a parmi mes amis des gens qui n’apparaissent sans doute jamais dans mon fil d’actualités.

Alors j’ai essayé d’aller réagir spontanément à des posts de gens que je ne voyais jamais (le seul truc que j’évite au maximum, c’est de liker de posts publics, parce que Facebook est coquin et le montre à certains de mes amis). Je me suis dit que si je leur mettais quelques likes, Facebook allait me les remontrer. Et bien non, pareil, ça n’a pas changé des masses.

J’ai pu observer le même genre de phénomène au niveau de mes « audiences ». Tu vois, Facebook te permet de « filtrer » tes infos. Genre tu veux ne destiner une info qu’à des anciens potes de secondaire, qu’à ta famille, qu’à tes potes d’entrainement ou tes collègues de boulot, ben tu peux. Histoire que tes collègues ne voient pas la dernière biture que tu t’es prise, par exemple. Sauf si c’était avec eux. Enfin soit, tout ça pour dire que tu peux personnaliser ton audience.

Encore une fois, j’ai fait la même expérience : j’ai chipoté pour que certains qui ne voient a priori jamais mes statuts les voient et d’autres pas. Et malgré tout, je tourne autour d’un « cœur de cible » qui doit correspondre à 10% de mes amis.

Alors, esprit aiguisé que tu es, tu me rétorqueras que les 90 autres pourcents n’en ont peut-être rien à foutre de ce que je dis ou écris, et donc que le fait qu’ils ne réagissent pas ne veut rien dire. Tu as sans doute raison en bonne partie, mais au vu des expériences que j’ai faites au-dessus, je crois que ce n’est pas la seule explication. Certains de mes « amis » ne voient probablement jamais ce que je poste. Certains parce qu’ils s’en contrecarrent, probablement. D’autres, parce que l’algorithme (le mot est lâché) de Facebook leur montre d’autres choses.

Un algorithme, c’est quoi ? Pour le dire avec des mots simples, dans le cas de Facebook, c’est un ensemble d’opérations (de « calculs ») qui va « personnaliser » ton expérience du réseau social. C’est plein de calculs qui vont faire que tu vas voir plein de posts de certains amis et pas d’autres.

Tu veux voir l’effet des algorithmes ? Va voir par exemple ta liste d’amis. Regarde qui sont les gens qui te sont montrés en premier. Tu retrouveras très certainement les gens avec qui tu interagis le plus sur le réseau social. Tes amis sont « préclassés », « hiérarchisés » en fonction de vos interactions entre vous.

Les algorithmes, ça sert à quoi ? Ca sert à te faire passer un max de temps sur Facebook.

Economie du web – Cachez cette pub que je ne saurais voir

C’est aussi pour cela que j’ai publié d’abord ce billet sur Facebook, parce que si je te partageais juste un lien, Facebook le mettrait moins en avant (c’est pour cela également que Facebook met davantage en avant les changements de photos de profils, qui recueillent souvent beaucoup de réactions, ou encore les statuts commentés avec des félicitations – genre mariage, naissance, nouvel emploi, etc.). Ici, Facebook peut être « gagnant » parce que tu ne vas pas déserter son site pour passer du temps sur un autre. Ton « temps de cerveau disponible » reste en sa propriété.

Pour te faire passer du temps sur le réseau, Facebook te montre ce que tu as déjà aimé, en se disant que si tu as aimé avant, tu en veux encore et encore. C’est comme une série qui fait une super bonne audience, tu vois. On va t’en rajouter 8 saisons jusqu’à ce que t’en aies marre et que tu trouves ça nul à mourir. Mais tu vas peut-être continuer à la regarder, parce qu’il n’y a que ça à la télé ou sur Netflix.

Ca sert aussi à personnaliser la pub, les « contenus suggérés ». Tu vois, si tu as liké un truc qui parle de noisettes, tu es susceptible d’aimer la page Nutella, qui paie Facebook pour te montrer sa pub. Si tu as parlé de voiture en message privé ou en commentaire du statut d’un ami, tu es susceptible d’en acheter une prochainement peut-être, et donc paf pastèque la pub pour Audi. Si tu as fait une recherche Google sur « immobilier » ou bien si tu as parlé d’avoir des enfants, là aussi tu es susceptible de voir des « annonces » particulières. Ici entrent en jeu les « cookies », qui désignent des petits gâteaux (ça tu le sais), mais aussi ces fichiers que tu acceptes que tu ne peux pas refuser d’installer sur ton ordinateur quand tu visites des sites, et qui enregistrent tes données de navigation.

Pour en savoir plus sur les cookies, le tracking et ses conséquences, regarde gratuitement ce super webdocumentaire en sept courts épisodes : Do Not Track.

Bref, que faut-il conclure de tout cela ? Bien sûr, toi mon ami Facebook, je te laisse conclure ce que tu veux. Ce que j’en retire personnellement, c’est qu’en fait c’est très difficile de « contourner » l’algorithme pour choisir de voir ce que je veux réellement voir. J’ai envie de voir ce que je sais que je vais aimer, mais aussi ce que je ne sais pas encore que je vais aimer. Je n’ai pas envie que Facebook décide pour moi les contenus que je veux voir.

Ca pose problème à plusieurs niveaux.

D’abord, ça veut dire qu’il y a des amis avec qui j’interagis beaucoup moins, ou qui publient peu de nouvelles, mais dont je voudrais réellement des nouvelles, et qui malheureusement ne sont pas « mis en avant » dans mon fil d’actualités. Ca veut dire que Facebook n’encourage pas le fait de « garder le contact » ou de maintenir des relations auxquelles je tiens. Et cela s’auto-alimente. Puisqu’on me montre plus certains amis, je réagis plus à leurs posts (le système pousse à s’auto-confirmer). Et donc je ne vois jamais les autres.

Ensuite, je ne veux pas être enfermé dans des « bulles de filtre ». C’est quoi encore ce vilain mot ? C’est une bulle relationnelle et informationnelle qui fait que je ne suis exposé qu’à certaines infos et à certains points de vue, et pas aux autres. Par exemple, si j’ai liké un statut anti-Trump, ça veut dire que je ne vais voir que des posts qui sont contre Trump. Pareil si je suis végétarien, féministe, pro Palestinien, pro Erdogan, que je m’intéresse au Sud Soudan, que j’aime regarder des vidéos de Kim Jong Un ou que je milite pour l’agriculture bio. Chaque fois, ce que j’ai consulté ou aimé va servir à déterminer ce que je vais voir.

Développer la capacité à changer de point de vue : les enjeux de la « décentration »

Idem si je suis abonné (par erreur j’espère) à Breitbart, Dreuz ou FdeSouche. Si c’est le cas, désabonne-toi vite mon ami Facebook, ces sites partagent souvent des articles faux et haineux. Pour en savoir plus, voici des articles.

Comment je m’informe sur le web

Lutter contre la haine de l’autre

Le Decodex, un outil pertinent face à la désinformation et aux mensonges sur le web ?

Bref, je ne vais voir que des trucs qui me confortent dans mes opinions. C’est cool pour ne pas être bousculé dans mes convictions et continuer à ruminer et à m’indigner devant mon écran. Mais c’est moche s’il s’agit de réfléchir et de partager avec des gens qui ne sont pas d’accord avec moi.

> Lire aussi « Facebook nous isole de plus en plus des opinions différentes des nôtres » (2016)

Enfin, parce que j’ai envie de décider moi-même, tout simplement. La machine n’est pas encore à-même de dire à ma place ce que je vais aimer, même si elle connait beaucoup de choses de moi. Et puis parfois, je veux voir des choses que je n’aime pas aussi. Cela nuit à la curiosité et à la liberté.

Si tu veux en savoir plus sur les algorithmes, Anne-Sophie Casteele a écrit un super article dessus, que je te recommande.

Les algorithmes dans les médias sociaux

A propos de la question de la surveillance de masse ciblée liée aux cookies et au tracking, cf. également Surveillance de masse et pouvoir(s).

Surveillance de masse et pouvoir(s)

Je me demande qui réagira / commentera ce billet (mais j’ai bien mon idée…).

Mises à jour (juillet 2017) pour prolonger la réflexion

Développer la capacité à changer de point de vue : les enjeux de la décentration (2017).

Facebook is going to show you news that you normally avoid (Washington Post, 2017).

Poiroux, J., « Fake news et accès à l’info : les “bulles de filtres” ne sont pas le plus gros problème ! » (2017).

Un commentaire

  1. Commentaire d’un ami :

    Bon globalement je suis assez d’accord avec ta note.
    J’avais, comme beaucoup, remarqué qu’il fallait personnaliser le flux de ses contacts si on voulait suivre plus en détails certains (ou a contrario stopper le flux d’inepties de contacts que l’on veut quand même garder comme ami).
    Après c’est loin d’être une aberration ; Facebook reste un service gratuit.
    Et si un service est gratuit c’est que c’est vous le produit !
    Même si Facebook possède une bonne image de marque, les gens qui y travaillent ne travaillent pas bénévolement.
    Ça a parfois du bon ; quand le développement est optimisé pour que son utilisation nous soit le plus agréable possible (et donc addictive).
    Et du moins bon quand il s’agit de maximiser les placements de produit (la pub finance la gratuité).
    Mais ça fait partie du jeu je trouve.
    Le fait de ne pas pouvoir se reposer sur un algorithme pour entretenir nos amitiés et nos liens sociaux n’est pas forcément une mauvaise chose.

    Ma réponse :

    Oui, bien sûr. D’ailleurs, à ce sujet : https://www.philomedia.be/economie-du-web-cachez-cette-pub-que-je-ne-saurais-voir/
    Après, si tu es le produit, ça veut dire qu’en fait ce n’est pas gratuit (or le gratuit, sur le web, ça existe aussi). La formule n’est pas de moi non plus : https://www.laquadrature.net/fr/si-vous-etes-le-produit
    D’ailleurs, dans l’article, je pointe tout autant le fait que l’algorithme décide à ma place que le fait qu’il décide MAL à ma place (quid si l’algo me montrait exactement ce que je voulais voir ? Est-ce possible ?).
    Et comme toi, je pense que ne pas se reposer sur l’algo (et a fortiori sur Facebook) pour garder contact est une démarche que j’ai à coeur d’entreprendre… Toutefois, je n’en aurais peut-être pas conscience si je ne me rendais pas compte que les algorithmes m’éloignent parfois de ceux de qui je voudrais rester proche.

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