Les 3 étapes de l’apprentissage

Dans la catégorie vérité et épistémologie, nous avons mis en lien quatre philosophies « en trois temps ».

Celles-ci ne sont pas sans lien avec des perspectives tout à fait concrètes, notamment en éducation. En effet, selon les modèles dits « constructivistes », l’apprentissage se produit (doit se produire ?) en quelque sorte en trois étapes.

Notons que cette perception de l’acquisition des connaissances n’est pas incompatible avec des méthodologies plus « analytiques » (par rapport auxquelles les pédagogies d’origine constructiviste sont souvent mises en opposition), proposant une approche plus linéaire, ou encore d’une transmission des contenus les plus simples aux plus complexes (cf. entre autres les différents paradigmes en sciences cognitives, notamment le cognitivisme, l’expérientialisme et le connexionnisme).

Une des idées remises en cause par le constructivisme en pédagogie est qu’il suffirait de « disséminer le savoir » dans des têtes vides (voire l’y enfoncer, selon les métaphores). Sur le même sujet, cf. également les processus scientifique et cognitif.

La question n’est pas tant de choisir entre des méthodes « constructivistes » et des méthodes « magistrales », mais bien de faire la part des choses et de se soucier des représentations de son auditoire, de ses « récepteurs ».

1. Tout d’abord, on n’apprend pas « à partir de rien ». Tout « apprenant » possède des tas de « savoirs » sur le monde ; de choses qu’il a observées, entendues, vécues. C’est ce qu’on appelle les « savoirs préalables », les « pré-conceptions », voire, dans certains cas, les « préjugés » (on parle aussi de schémas conceptuels et d’images mentales, mais je n’approfondis pas ces notions). Ces savoirs peuvent être corrects, à nuancer/compléter ou incorrects. Dans le cas où ils sont corrects, l’apprenant dispose déjà du savoir. Dans les autres cas, il est nécessaire de passer à l’étape suivante.

2. Dès lors, l’apprentissage doit se faire en tenant compte de savoirs qui vont parfois à l’encontre de ce qui est scientifique. Par exemple, quand on observe le soleil, on a l’impression que c’est lui qui tourne autour de la terre : il « se lève » et « se couche ». Il faut dès lors provoquer ce qu’on appelle dans le jargon le « conflit cognitif », c’est-à-dire une situation où les conceptions préalables ne permettent pas d’expliquer le phénomène étudié. C’est une prise de distance, une « mise à mal » des conceptions préalables. Parallèlement à ça, et seulement à ce moment, arrive le « savoir scientifique » (avec toutes les pincettes à utiliser par rapport à ce terme) ; un autre modèle est proposé.

3. Enfin, l’apprenant agit consciemment face à la situation par rapport à laquelle il est confronté et « réorganise » ses savoirs, ses modèles de compréhension du monde. C’est le temps, non plus du « pré-juger », mais du « juger ». Le « préjugé », nous l’avons vu, n’est par conséquent par à rejeter en bloc : c’est une condition de possibilité du jugement. Il faut partir des préjugés pour en retirer la zone de pertinence et en déterminer les limites. Il convient d’y faire droit, de manière à ce que l’apprenant puisse réorganiser son savoir, en fonction des nouvelles données.

Le soleil « se couche »… Est-ce lui qui tourne autour de la terre ? La réponse n’est pas évidente : il convient de refaire le cheminement intellectuel des grands penseurs, de mettre en prise avec des expériences, des faits et des chiffres, pour se détacher des représentations erronées. Les choses ne vont pas de soi.

1. Représentations préalables

Schématiquement, on a un ensemble de données structuré, « dans la tête » de l’apprenant :

A – B – C – D

(Le modèle « A-B-C-D » est sa compréhension d’un phénomène, selon 4 concepts ou images)

2. Conflit cognitif

L’apprenant reçoit une nouvelle donnée et/ou une remise en question de ses représentations :

X

(Le modèle « A – B – C – D » ne fonctionne pas : X est une donnée qui amène un choc entre la représentation et le monde tel qu’il est. X permet de réagencer la compréhension du monde)

3. Jugement

Il restructure ensuite ses modèles mentaux, moyennant parfois le recours à de nouvelles considérations :

A – X – (B – Y – C – D)

(Moyennant la donnée X, et celle Y qui n’avait pas été envisagée précédemment, on peut constituer un nouveau modèle permettant de mieux comprendre le monde)

On notera une similitude avec la façon de valider ou invalider une théorie scientifique : tout d’abord, il y a confrontation avec un modèle où elle n’est pas adéquate (falsificationnisme de Popper), et ensuite on tente néanmoins de l’agencer, de garder son contenu explicatif ; on recherche une théorie qui expliquait ce que la précédente expliquait, tout en résolvant ses lacunes. Cf. les articles Parallélisme entre 4 philosophies en trois temps et Les processus scientifique et cognitif.

Ricoeur Peirce, lu par Apel Freud Hegel
Idem : le même (mimésis 1) Lecture « iconique » du monde Pulsions, temps de l’inconscient, du « ça » L’être est, sans conscience qu’il est
Différent, Alter : la différence (mimésis 2 : le temps « configuré ») Lecture « indiciaire » du monde Lieu de la règle, du « surmoi » L’être prend distance avec (une partie de) lui-même pour s’objectiver.
Ipsé : l’ipséité, l’identité (mimésis 3 : le temps « refiguré ») Lecture « symbolique » du monde Lieu de la conscience L’être « retourne en lui-même », enrichi de sa prise de distance, opère une synthèse de soi comme un tout, se réévalue intrinsèquement, « subjectivement »

Rappelons enfin l’idée de « boucle mimétique » (Ricoeur), de dialectique. L’idée est que le processus cognitif n’a pas de fin, qu’il s’agit d’une dynamique : ainsi, les nouvelles « structures mentales » constituent le nouveau « socle de savoirs » que l’on peut mettre en balance par de nouveaux conflits cognitifs.