Lutter contre la haine de l’autre

Certains de mes contacts partagent du « Fdesouche », « Lesobservateurs.ch » et autres sous prétexte que « les médias nous manipulent ». D’autres de mes contacts s’indignent publiquement en conséquence des discours racistes, des mensonges et hoaxes qui pullulent sur la toile. Malgré cela, la propagande identitaire, la désinformation, les propos haineux et/ou fallacieux ont toujours la cote.

Dès lors, comment faire ?

Il semble que les stratégies de dénonciation (voire d’humiliation) ne fonctionnent pas toujours bien face aux propos haineux ou identitaires. Elles peuvent être contreproductives, amener à se perdre dans des querelles sémantiques, voire carrément reproduire à l’envers la logique identitaire de son adversaire et créer des camps.

Je pense qu’il faut réhabiliter la complexité et le dialogue nuancé face aux discours simplistes et à la haine. Il semble opportun de valoriser une compréhension en profondeur face à des attitudes de rejet, voire de violence. Ceci suppose à mon avis des mesures sociales qui dépassent le cadre interpersonnel, entre autres au niveau éducatif.

[Mise à jour 2023] En lien avec le concept d’agenda setting (McCombs & Shaw) et celui de framing (Lakoff), il me parait important d’interroger le fonctionnement du débat public, dans la presse ou sur les médias sociaux (et notamment à travers les algorithmes). Cf. également cet article de Nicolas Galita. Ces considérations devront faire l’objet d’un article ultérieur : en effet, à travers les travaux de Lakoff, il apparait qu’un recadrage du débat et de ses termes (y compris à un niveau moral) importe davantage qu’une discussion factuelle lorsqu’il s’agit de « remporter un débat ». Au-delà des pistes stratégiques et communicationnelles qui se dégagent de ce propos, il apparait qu’il importe de donner de la consistance et de la voix à des repères moraux, tout en mobilisant des moyens efficaces de dévaluer les propos adverses… sans nécessairement leur répondre directement.

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4 commentaires

  1. Voici quelques précisions et remarques suite à des réactions qui me sont parvenues.

    Tout d’abord, certaines remarques que j’ai reçues ne trouvent pas écho dans l’article dans la mesure où celui-ci est aussi à voir comme une partie d’un tout. Par exemple, lorsque je parle de raisonnement valide sans le définir, c’est parce que tout un article est consacré à cela. J’en mentionne plusieurs dans le corps du texte (Cf. La logique face aux mauvais arguments, Guerre(s) et philosophie, Faut-il censurer les propos racistes ?, Les polémistes sont-ils responsables des interprétations de leurs propos ? ou encore Pour une éthique de la discussion).

    Je n’approfondis pas ici non plus sur le côté « punissable par la loi », bien que j’aurais pu le mentionner. En effet, mon propos s’attaque aussi à des stratégies ou discours identitaires et/ou fallacieux non punissables en tant que tels (ne serait-ce que parce qu’ils utilisent une stratégie sémantique). Néanmoins, il fait parfois partie de la pédagogie d’expliquer ce qu’est réellement la liberté d’expression, que certains invoquent à tort lorsqu’ils déversent leurs discours nauséabonds.

    De même, cet article ne fustige pas seulement le simplisme amenant à la haine. Il s’attache aussi à déconstruire le simplisme en tant que tel (comme une forme de non-pensée, de non-exercice de son jugement – cf. Arendt).

    Il ne s’agit pas seulement des propos racistes, bien qu’ils soient une catégorie archétypique des messages haineux et identitaires, mais plus largement du faux et de la haine de l’autre. Cela se situe à l’intersection de deux registres différents (bien que liés) de la philosophie : l’épistémologique et le moral (principe de non-nuisance et principe d’attention – to care, entendu ici comme exercice de ses facultés morales).

    Une clarification ensuite : lorsque je parle de « faire la part des choses », je ne pense pas que l’on puisse s’affranchir totalement de l’émotionnel. Ce n’est pas de cela dont il est question. A l’inverse, il s’agit de prendre en compte cette dimension émotionnelle pour construire un discours de lutte contre la haine. Par contre, je crois que c’est de la responsabilité des « modérés » et des « raisonnables » de faire la démarche de comprendre, y compris ce qu’il y a derrière les « pires » propos. Je souligne bien que comprendre ne veut pas dire cautionner. Cf. également Une question de points de vue : le perspectivisme, Doctrines et courants en épistémologie, Liens entre vérité et liberté ou encore Pour une éthique de la discussion, dans lesquels je m’engage notamment pour la thèse selon laquelle tous les « points de vue » ne se valent pas, et [les attitudes vis-à-vis de] ceux-ci sont d’autant plus adéquat[e]s qu’ils [elles] permettent la construction et non le rejet.

    Pour moi, la compréhension est en tant que telle une clé pour prendre distance par rapport aux discours simplistes ou haineux. Pouvoir entendre que derrière les propos nauséabonds de certains, il y a parfois surtout la manifestation d’un état « paumé », écorché ou l’expression d’un sentiment d’injustice… Cela n’excuse en rien les discours et actes violents ou haineux, mais il me semble qu’en distinguant l’un de l’autre on adopte une posture plus constructive. Rien que le fait de dire qu’il est autorisé de ressentir et d’exprimer une émotion, mais punissable de passer à l’acte violent, cela me semble important. Les professeurs, les journalistes ou encore les politiciens sont concernés.

    Enfin, j’ai reçu des invitations à raccourcir le texte en parallèle de commentaires pointilleux qui m’invitent à nuancer, complexifier, développer ou clarifier certains points. J’ai tâché de réfréner ma tendance à encore et toujours plus de développements. J’ai choisi du coup de ne clarifier que les passages que j’ai estimés susceptibles d’induire une compréhension différente de celle que j’ai souhaité communiquer, et non ceux qui manquaient peut-être un peu de clarté. Je pense aussi bon que certains points demeurent ouverts à la discussion (et quoi que je fasse il en restera). Mon but n’est pas de m’ériger en donneur de leçons, mais de tâcher de construire une posture et un discours cohérents avec une philosophie qui se réclame de la construction (ce qui ne m’empêchera sans doute pas d’éditer mon article prochainement).

    Pour terminer, je souhaite une fois encore remercier chaleureusement Quentin et Jean-Luc pour leur temps et leurs relectures rigoureuses et sans concessions.

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