Nouveaux médias : faut-il révolutionner la pédagogie ?

Les médias ont des impacts sur notre manière de penser et de vivre dans le monde. Aujourd’hui, alors que de nombreuses opérations mentales sont automatisées dans des machines, notamment la mémorisation d’information, ne faut-il pas revoir en profondeur les méthodes d’apprentissage ?

Deux positions classiques existent. A notre droite, il y a ceux pour qui « c’était mieux avant ». Il ne faut certainement pas toucher aux « bonnes vieilles méthodes », sous peine de continuer dans la voie de ce gouffre sans fin qu’est le nivellement par le bas. D’ailleurs, depuis le temps que le niveau baisse, c’est à se demander comment l’espèce humaine n’est pas encore éteinte. A gauche, nous avons les contradicteurs, pour qui il va de soi qu’il faut tout révolutionner et repartir d’une page blanche : pourvu que l’on réinvente enfin la roue !

Ces extrêmes n’ont forcément pas que des travers idéologiques.

Coté pile, parce que la pédagogie est une affaire à laquelle de nombreux auteurs et enseignants ont réfléchi avant. Un simple regard en arrière démontre d’ailleurs que pas mal de questions qui se posent aujourd’hui sont loin d’être neuves, même par rapport aux technologies numériques. Il est faux de croire par exemple que ces technologies modifient absolument tout, en transformant instantanément la masse de consommateurs passifs que nous étions en usagers actifs. De plus, l’institution scolaire d’hier n’a pas formé que des bras-cassés, aigris de l’éducation et dégoutés de tout savoir. Un point pour les passéistes.

Coté face, parce que l’enseignement est un domaine où il convient de se remettre en question et d’interroger le sens des apprentissages, d’autant plus qu’il est encore aujourd’hui marqué par de profondes inégalités sociales. Les nouvelles technologies ne modifient pas tout, mais elles renforcent certaines questions et elles s’inscrivent dans différentes évolutions sociales et culturelles, d’autant plus qu’il s’agit de nouveaux médias de communication, de nouveaux langages et donc de nouvelles formes de connaissance.

Vous souvenez-vous de cette émission diffusée sur RTL-TVI (« Êtes-vous plus malin qu’un enfant de primaire ? »), opposant des enfants de primaire drillés de par cœur à des adultes sur des questions de « culture générale » ?

Celle-ci a eu le triste mérite de mettre en avant ce qu’on appelle les « savoirs morts ». Les chiffres à ce sujet sont effrayants, puisque trois mois après les examens de juin, les élèves ont oublié une grande partie de la matière qu’ils ont ingurgitée. Il est alors légitime de se demander s’il ne vaut pas mieux apprendre moins (et/ou autrement) pour retenir plus durablement. D’autant plus lorsqu’une recherche sur Google permet de trouver ce genre de réponses… Pour peu que l’on sache l’utiliser et distinguer une information fiable du reste ! Et pour ce faire, il faut sans doute un minimum de connaissances, comme lorsqu’il s’agit d’utiliser une calculatrice : il est nécessaire de reconnaître les chiffres, comprendre les opérations, interpréter les résultats, etc. Un partout.

Le fait qu’il y ait des lacunes dans un système donné n’est pas une raison pour faire n’importe quoi, n’importe comment. Certains acteurs pédagogiques, associatifs ou encore marchands ne manquent pas d’inventivité. Cependant, sous prétexte d’innovation, il leur arrive de vanter des dispositifs et outils qui sont loin d’avoir fait leurs preuves, voire qui n’ont pas vraiment de sens, ou encore que les apprenants arrivent à maîtriser par eux-mêmes. Ainsi en est-il de ces enseignants qui naviguent quasiment à l’aveugle sur le web ou sur des applications avec leurs élèves, donnant parfois l’impression d’être faussement « branchés ». Face à eux, on retrouve ceux qui tiennent des discours plus hostiles à l’égard des médias et qui adoptent des postures sécuritaires marquées par des interdits, des chartes et des règlements. Littéralement de plus en plus « déconnectés » de la réalité de terrain, ils courent le risque de creuser l’écart entre la vie scolaire et la vie en-dehors de l’école. Ces catégories de personnes correspondent en quelque sorte à ceux que j’appelle les « apprentis sorciers de l’éducation aux médias ».

Dossier : les apprentis sorciers de l’éducation aux médias

Dès lors, que faire ?  

D’abord, faire le deuil d’une recette parfaite qui permettrait de résoudre toutes les questions éducatives. En parallèle, une des richesses d’un bon enseignement consiste à varier les pédagogies, à diversifier les méthodes et les approches. L’approche pluraliste permet de ne pas sombrer dans des discours trop orientés et radicaux, qui comportent des risques pour les apprenants – ou du moins certaines catégories d’entre eux.

Les enjeux sont très nombreux. On parle d’ailleurs de fracture numérique : une maîtrise de base des « technologies de l’information et de la communication (TIC) » est devenue une condition pour évoluer dans la société de demain. Il est important d’y répondre, mais aussi de le faire de manière nuancée, parce que la réalité est complexe.

En sortant de ces schémas binaires, il faut aussi avoir conscience qu’il ne faut pas vouloir changer trop radicalement la pédagogie. D’une part, on l’a vu, parce qu’il est dommage de jeter le bébé avec l’eau du bain : certaines choses fonctionnent ou ont fonctionné. D’autre part, parce que les enseignants et apprenants sont accoutumés à des routines, des habitudes, des manières de faire. Si vous allez dans une classe qui n’a jamais connu que des méthodes transmissives, où le prof parle et les élèves écoutent, il n’est pas dit qu’ils seront réceptifs à une pédagogie dite active – pas tout de suite, en tout cas. Et vice versa. Combien d’enseignants ne se sont toujours pas remis du décret « missions » de 1997, instituant l’approche par compétences ? Sur le terrain, c’est un travail d’équilibriste.

Il faut prendre en compte le public et les spécificités et sensibilités de chacun : c’est une affaire de dosage.

Enfin, certaines méthodes sont efficaces dans un certain contexte, d’autres le sont moins. A ce sujet, il est intéressant de se poser la question du rôle des institutions destinées à l’éducation et à la formation. Leur seul but est-il d’inculquer des données, ou bien aussi d’apporter une contribution par rapport à des enjeux plus larges, d’émancipation citoyenne, de pensée critique et de vivre-ensemble ?

Au fond, cette question du sens n’est elle pas la seule qui soit pertinente par rapport à un contexte donné ? Plutôt que de rejeter en bloc toute innovation médiatique, ou de se jeter sur la première application marchande venue et utilisée par certains jeunes, n’est-il pas intéressant de réfléchir au cas par cas en fonction d’objectifs didactiques bien définis ?