« C’est peut-être pas vrai, mais ça illustre bien mon propos » – Petit debunk d’été

A propos d’une publication qui prétend démontrer que tout groupe social est voué à la violence, la barbarie et l’extinction lorsque l’on place les individus qui le composent dans un endroit paradisiaque où règne le confort sans avoir à fournir aucun effort, et ce sur base d’une étude menée par l’éthologue John B. Calhoun en 1962.

« Calhione [sic] voulait démontrer que les sociétés – qu’elles soient des rats ou des êtres humains – si on leur donnait tout le confort sans effort et sans défi, elles se dirigeraient inévitablement vers l’effondrement interne ».

C’est un beau cas d’école à propos de désinformation insidieuse (« fake news »).

Je vais brièvement expliquer pourquoi c’est de la désinformation et surtout ensuite dire pourquoi c’est un problème de la relayer (parce qu’en soi, on s’en fout, non ? C’est pas bien méchant, pétons un coup, non ?)

Pourquoi c’est de la désinfo

Il y a beaucoup d’erreurs dans la publication. Ce n’est pas l’étude et ses résultats qui sont présentés, mais une opinion qui se présente comme scientifique.

Le nom de l’auteur cité n’est pas le bon.

On est sur des souris et pas des rats.

A la base, la cage est prévue pour 4 couples de souris et on est vite en situation de surpopulation (donc loin du « paradis » initial) + avec des soucis potentiels de consanguinité.

Le chercheur, comme beaucoup de chercheurs en sciences humaines et sociales qui voient les résultats de leurs études complètement dévoyés (poke à Mehrabian par exemple), n’a pas du tout voulu prouver que l’excès de confort menait au déclin civilisationnel (et d’ailleurs ç’aurait été un biais si ça avait été le cas).

L’étude n’a pas du tout été répliquée 25 fois telle quelle…

Et j’en passe.

> Si vous voulez lire à propos de la vraie étude

En réalité, si l’étude montre quelque chose, elle montre presque le contraire de ce qui est dit dans la publication : c’est quand le manque de confort apparait (surpopulation, entre autres) que les problèmes naissent !

D’ailleurs, c’est toujours important de voir ce que d’autres études disent, car même bien présentée, une seule étude est à prendre avec des pincettes, surtout si elle entre en contradiction avec d’autres observations. Or, de nombreuses études en éthologie montrent que des animaux en situation d’abondance ont justement plutôt tendance à avoir des comportements moins compétitifs, moins agressifs, que lorsqu’il y a besoin de lutter pour les ressources.

Enfin, cette publication nourrit un propos idéologique à propos de ce qui serait considéré comme « barbare » (avec de bon gros amalgames sur lesquels je ne vais pas m’étendre ici) versus ce qui serait « civilisé » (la valeur travail méritocrate notamment, voire la justification d’un certain ordre social établi). On pourrait pousser l’investigation quant aux idéologies sous-jacentes…

Pour aller plus loin :

Pourquoi c’est un problème

Pète un coup Julien, c’est juste pour rire.

Justement.

« C’est juste pour rire », c’est une des raisons pour lesquelles on partage des contenus faux, trompeurs, voire nuisibles (cf. Fake News : pourquoi partageons-nous des contenus faux ?).

Et c’est un excellent exemple de « raisonnement motivé ». En fait, on s’en fout que ce soit vrai, tant que ça colle bien à ce qu’on a envie de dire. Et ça, c’est le contraire de la démarche scientifique. En sciences, on cherche à établir des faits, et au fond ce qui compte, ce sont les données, quitte à ce qu’elles réfutent ce qu’on pensait à la base. Ici, la conclusion est posée avant d’avoir les données, et on s’arrange pour faire coller les données avec la conclusion. C’est une autre raison pour laquelle on partage des trucs faux : « oui bon ok c’est peut-être faux mais ça montre quelque chose qui colle à ma vision des choses / ce que je veux dire ».

Plus pervers que les idéologies, ce sont les idéologies qui se font passer pour des faits…

Et voyez comment c’est insidieux : il me faut une plombe et un long texte chiant pour expliquer pourquoi c’est trompeur, alors qu’il faut 3 secondes pour partager le truc. C’est ce qu’on appelle le principe d’asymétrie des idioties (bullshit asymertry principle).

Et ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres malheureusement. A l’heure de faiseurs de vérités pseudo-experts autoproclamés en économie politique, en histoire ou autre (qui ne sont en réalité que des propagandistes) sur tiktok, ça me semblait d’utilité publique… Face au climat de malbouffe informationnelle, ne perdons plus de temps avec les fournisseurs de contenus de mauvaise qualité.