Information, communication et éducation : entretien avec Cyrille Frank

Après nous être entretenus avec Pierre Lévy, Boris Libois et Marc de Haan (cf. Entretiens), nous avons échangé avec Cyrille Frank.

cyceron-cyrille-frank-mediacultureCyrille Frank (Compte Twitter, Linkedin, Mediaculture.fr) est à l’origine de plusieurs initiatives innovantes dans le domaine de l’information et de la communication (Mediaculture, AskMedia, Quoi.info, Médiacadémie…).

Ancien journaliste, il forme, conseille et coache des médias ou des marques et agences depuis 2009. Il donne aussi des cours et des conférences pour des écoles de journalisme, écoles de commerce, à l’Université ou en formation professionnelle.

Après son parcours à l’Institut Français de Presse et au Centre de Formation des Journalistes, il développe une expérience dans le journalisme et la communication web en travaillant notamment pour Fun Radio, Future France, ZDNet, Altavista ou encore AOL.

Il est également l’auteur du Livre à lire dans l’isoloir et co-auteur du Petit guide du citoyen averti.

Sources : Mediaculture.fr et Profil Linkedin.

L’entretien a principalement porté sur les thématiques suivantes : les rapports entre information et communication (avec un focus sur l’éducation et la question de la vulgarisation), les mutations dans les médias d’information, la critique du journalisme et du marketing. Par extension, la problématique du financement et des aides à la presse a également été abordée.

Vous êtes à l’origine de plusieurs initiatives en termes d’information et de journalisme (Askmedia, Quoi.info, etc.). Celles-ci témoignent-elle d’une autre vision de l’information ? Si oui, qu’a-t-elle de neuf ou de différent ?

Dans une certaine mesure, j’imagine que ce qu’elle a de neuf tient surtout aux outils que l’on utilise.

Sur le principe, je ne pense pas que nous soyons particulièrement révolutionnaires. Ce qu’on essaie de faire, c’est de mettre l’information à la portée du plus grand nombre. C’est de la vulgarisation, de la pédagogie, de l’actualité, de l’information en général, et par tous les moyens, que ce soit écrit, visuel ou interactif ; toutes ces techniques modernes, c’est cela qui est nouveau par rapport à cet objectif. Sur le fond, je pense qu’on n’est pas les premiers.

Dans la presse papier, il y a des précédents : on pense par exemple au Petit quotidien, qui déjà fait cet effort de vulgarisation par rapport à un jeune public. Ou même, en France, dans le groupe Prisma Presse, le magazine Ça m’intéresse. Si on parle de sciences, il y a le magazine Sciences et avenir et Science et vie. Ce sont également des magazines qui font œuvre de vulgarisation, de pédagogie.

Là où nous sommes un peu novateurs, c’est qu’on en a fait un concept entier sur Quoi.info. Tous les sujets, y compris les sujets d’actualités, étaient traités sur ce registre pédagogique. On peut dire qu’Askmedia a la particularité d’expliquer les choses simplement.

« La pédagogie est toujours un travail d’équilibriste »

Dans le monde académique, notamment, le terme « vulgarisation » a parfois une connotation péjorative. Si vous me passez l’expression, y a-t-il une « bonne » et une « mauvaise » vulgarisation ?

C’est toujours un travail d’équilibriste. Je considère que la vulgarisation, ou la pédagogie, est quelque part une troncature, une déformation, même a minima. Si on réfléchit bien, pour être totalement précis et pointu, il faut être exhaustif, et par conséquent c’est l’antithèse de la pédagogie, de l’accessibilité. Après, où fixe-t-on le curseur ? Sur quels critères faut-il rester très exigeant, et sur quels autres peut-on éventuellement prendre certaines libertés ? Je considère effectivement que la « bonne pédagogie » est celle qui ne déforme pas trop le sens.

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Il s’agit de maintenir un sens général correct, sans dénaturer le propos. C’est très difficile. Certains font ça très bien. Si on reprend l’exemple de Sciences et avenir et Science et vie, d’un point de vue personnel, je pense que Sciences et avenir a plus de rigueur sur le choix des sujets et sur le traitement, d’après ce que j’ai pu échanger avec des amis scientifiques et chercheurs.

Pour moi, il n’y a cependant pas de « mauvais » propos, cela dépend aussi de la cible. Si la cible est très instruite, les exigences ne seront pas les mêmes que si l’on s’adresse à un public populaire, un peu moins instruit. C’est une évidence. Par conséquent, à quel niveau on fixe le curseur, cela dépend à qui l’on veut s’adresser. Pour une salle de classe, il faudra forcément s’adapter à son public, à ses écoliers, si l’on veut que le message passe. A un moment donné, il faut un peu déformer le propos pour qu’il soit compris, à condition que le sens ne soit pas déformé. On est obligé de recourir à des métaphores, à des exemples de la vie quotidienne. On est obligé de donner des images qui ne sont pas exactement les bonnes, mais cela n’est pas grave du moment que le sens passe. Quand on veut expliquer la théorie de la relativité d’Einstein, impossible de l’expliquer au grand public autrement qu’en passant par des images qui sont une déformation par rapport à la vision scientifique originelle de Einstein. Le but du jeu est de « limiter la casse ».

Quitte à ne pas être exhaustif, il semble donc important d’informer les individus…

Évidemment, pour moi, c’est important de rendre intelligibles les idées, les grands principes, sans forcément entrer dans les détails, pour le plus grand nombre, parce que ça enrichit les individus, ça les élève. Derrière, il y a la question sous-jacente de la citoyenneté. Comprendre l’information, comprendre ce qui se passe, c’est être en mesure de mieux voter, de mieux choisir. Il y a la dimension éducative, informationnelle, et derrière politique. En comprenant mieux ce qui se passe, les gens sont plus susceptibles de faire les bons choix politiques.

« L’éducation est en amont de l’information »

Mediaculture ou les ouvrages que vous avez écrits ou coécrits (le livre à lire dans l’isoloir et le petit guide du citoyen averti) permettent d’observer la place que vous accordez à ces considérations. Concrètement, en quoi l’information développe-t-elle l’émancipation citoyenne ?

petit-guide-citoyen-avertiL’information est un des éléments de la construction citoyenne, mais peut-être pas le plus important.

Le plus important me semble être l’éducation, l’instruction. C’est ce qui est en amont, elle est préalable. L’information se situe en aval.

Elle peut permettre à certaines personnes de « raccrocher les wagons », si je puis dire, c’est-à-dire de comprendre ce qui se passe, comprendre les enjeux, ce qui se joue dans les décisions qui sont prises. Même si on n’entre pas dans le détail : savoir qu’orienter de telle ou telle manière le budget de l’état, ça a des incidences sur d’autres choses. Que fait-on comme choix, et pourquoi les faisons-nous ? Ce sont des choses importantes et complexes. Ces questions deviennent de plus en plus difficiles dans la mesure où nous ne nous situons plus seulement à l’échelle nationale, mais aussi à l’échelle mondiale. Elles deviennent de plus en plus difficiles d’accès pour le plus grand nombre, donc l’information a pour rôle de permettre à des gens qui n’ont pas forcément le bagage initial – parce qu’ils ont quitté le circuit scolaire assez tôt – de comprendre un minimum ce qui se passe, sans avoir fait l’économie, sans avoir fait de sciences, de sociologie ; sans avoir tous ces acquis qui permettent à la population instruite d’avoir les clefs de compréhension. Cela permet d’y « mettre un pied », de ne pas être complètement déconnecté de ces enjeux, pour être à même d’avoir des jugements plus proches du « vrai » que ceux qui se laissent influencer pour des raisons émotionnelles, réactives par rapport à l’actualité qui les touche.

Je sépare la raison de l’émotion parce qu’il y a tout un pan de l’information qui s’appuie sur l’émotion, au détriment de la raison. Je ne dis pas qu’il ne faut pas d’émotion. L’émotion peut d’ailleurs être un véhicule pour faire passer la raison, mais cela ne doit pas être une finalité. Sauf dans le domaine du divertissement, mais c’est un autre domaine.

livre-a-lire-dans-l-isoloirEn somme, pour moi l’éducation construit la structure de compréhension du monde. Cette compréhension vient de ce que l’on a appris de son environnement éducatif : l’école, les parents, les amis… C’est ce que l’on appelle le « capital social ». Ceci dit, il y a la possibilité de se rattraper, de se faire une culture par soi-même. Ce n’est malheureusement pas la règle, c’est plutôt l’exception, mais il y a des gens qui sont autodidactes grâce à cette société plus ouverte, plus accessible. Aujourd’hui peut-être plus que jamais, on peut accéder à une culture autodidacte, pour peu qu’on en ait l’envie, le temps, et quand même un minimum de clefs au départ qui permettent de décoder, de faire la part des choses.

[Voir aussi la catégorie Education et culture sur Mediaculture.fr]

« L’information ne doit pas être décorrélée de la notion d’audience, mais elle doit être déconnectée de la notion de rentabilité, c’est très différent »

Vous distinguez émotionnel et rationnel. Il vous arrive par ailleurs de prendre une position critique par rapport à un certain traitement de l’actu. Pensez-vous qu’il y a des choses à changer ou à améliorer dans le système actuel ?

Ce qui m’agace le plus, c’est l’information en télévision. La télévision reste actuellement le média le plus important, c’est le média par lequel la majorité des citoyens s’informe. Je crois qu’il y a 80 % de la population française qui s’informe par ce canal.

Les améliorations passeraient par une information qui est déconnectée de logiques économiques dans les JT, par exemple. Je ne dirais pas qu’elle soit complètement décorrélée de la notion d’audience, mais elle doit être déconnectée de la notion de rentabilité, c’est très différent.

Qu’il y ait une notion d’audience, c’est important, parce que finalement il faut parler à un public. On n’est pas sur Arte, juste entre soi. C’est important de toucher le maximum de gens. Par contre, adopter une logique qui n’est pas forcément rentable, c’est toucher le maximum de gens, mais pour leur dire des choses qui ont du sens, pas pour leur vendre des choses.

On a vu un mimétisme très fort sur France Télévisions, entre le journal de TF1 et celui qui se produit sur France 2, en tout cas dans les dernières années, tiré entre autres par des journalistes comme Pujadas. Je n’ai rien contre David Pujadas, mais je considère que quelquefois, la hiérarchie de l’information n’est pas bonne, lorsque l’on commence par exemple par le plus insolite et que l’on termine par le plus important.

Aussi, quand il y a des débats télévisés, de la politique, le travail de relance, d’investigation ou de « poil à gratter » n’est pas fait. Il y a une disproportion des forces entre le politique qui arrive ultra-préparé, avec toute une équipe derrière lui qui a travaillé notamment à lui fournir des chiffres, et des journalistes qui semblent encore trop esseulés. Il faut travailler en équipe, se préparer comme ils se préparent eux-mêmes. Je milite pour un système de fact-checking en direct [Cf. « Non, le fact-checking en télé n’est pas un gadget, c’est un impératif citoyen ! »], comme cela se fait de plus en plus. Je crois que la vérification doit se faire en temps réel, ou en tout cas qu’il y ait un droit de rectification.

Erwann Gaucher, qui lui-même travaille pour France Télévisions, m’expliquait que c’était très compliqué de mettre en place un système de vérification en temps réel : effectivement, si on est contraint par le temps, cela peut générer des erreurs. En tout cas, cela me semble primordial qu’il y ait un travail en équipe, et que cela permette d’être capable de signaler une erreur en temps réel, ainsi que d’être capable d’exercer un droit de rectification, soit à la fin de l’émission, soit le lendemain… Le problème est que quand une erreur est dite sur une émission de télévision, le lendemain la correction est faite en presse, sauf qu’entre les 80% des gens qui regardent la télé et les 10-15% voire moins qui lisent la presse, le mensonge est passé, la correction n’est pas faite.

Enfin, sur la presse, il y a cette problématique du modèle économique qui incite les journaux à pervertir leur ligne éditoriale pour vendre du papier. Des titres comme Le Point, les news mag qui font énormément de unes sur le vin, les châteaux ou des mythes dont on sait très bien qu’ils sont faux, les francs-maçons… Ce sont toujours des titres racoleurs pour lesquels on sait bien que ce sont des hérésies, que ce n’est pas sérieux. Le traitement de l’information internationale périclite, parce que ce n’est pas rentable.

Ce modèle économique est donc central dans la presse. Cela touche à la question plus vaste de la distribution de l’aide à la presse. Je pense qu’il faut réformer entièrement l’aide à la presse en France. Aujourd’hui, le système tient sur les ordonnances de 1944, avec des aides allouées majoritairement à la presse d’information générale (IPG). Ce classement ne tient plus compte de la réalité de ce que produisent les journaux, qui font beaucoup plus de loisirs qu’ils n’en faisaient hier. Pourquoi financer autant Le Figaro, Le Monde ; ces journaux qui aujourd’hui en majorité produisent de l’information non-citoyenne, qui n’a pas lieu à être financée par les pouvoirs publics ?

Il y a donc plusieurs choses à changer, la première étant la télévision, et la seconde étant le système d’aides à la presse, pour alimenter l’information utile au plus grand nombre.

« La curiosité est quelque chose qui s’éduque »

La consommation médiatique des publics semble dessiner un désintérêt pour certaines questions citoyennes. Est-ce irréversible ? Quelle est leur responsabilité ?

Pour moi, c’est plus le rôle de la presse et des journaux de s’adapter à leur cible, pour leur donner envie de lire ou regarder des choses intelligentes.

Il y a quelquefois une forme d’hypocrisie, quand on interroge les gens sur leurs lectures, ils répondent qu’ils lisent Le Monde Diplomatique, alors qu’en réalité, ils lisent Voici. Je caricature bien sûr. Ce n’est pas aux gens qu’il faut en vouloir : c’est le résultat de leur vécu, de leur histoire, de leurs rencontres…

Je pense que la curiosité est quelque chose qui s’éduque, qui s’instruit, qui s’acquiert petit et qui se développe tout au long de la vie. C’est une chance d’avoir de la curiosité : ce n’est pas un mal de ne pas être curieux, mais plutôt quelque chose que l’on n’a pas eu la chance d’avoir développé. Par conséquent, il faut que les journaux développent cette curiosité, qu’ils développent cette envie de comprendre, et donc qu’ils adaptent leur manière de parler. Il faut qu’ils comprennent que le public auquel ils s’adressent n’est pas le même que celui qu’ils représentent [ou duquel ils sont issus] eux-mêmes. Il y a un coté très projectif des journalistes qui pensent que « tout le monde le sait ». Il faut sortir de cette notion de « ce que je suis moi » pour essayer de comprendre celui à qui je m’adresse vraiment.

Des outils permettent de le voir. C’est une force d’Internet : on n’a jamais eu autant d’informations qu’aujourd’hui sur le public. Le problème est que ces outils-là ne sont pas utilisés de manière adéquate. Ils sont utilisés pour faire de l’audience, du trafic, pas pour mieux comprendre ce que souhaite la cible. Ils pourraient permettre d’analyser pourquoi tel article a moins marché que tel autre : cela ne veut pas dire que le sujet est mauvais, mais peut-être qu’il était mal traité, qu’il aurait du être présenté d’une autre façon…

« Il n’y a pas de mauvais sujet »

Je l’ai expérimenté chez AOL : quelquefois, on m’a dit que tel ou tel sujet ne marchaient pas. Je me suis parfois battu avec certains de mes chefs pour leur dire « il n’y a pas de mauvais sujet ». Cela n’existe pas, les mauvais sujets. Il y a des mauvais traitements, des mauvais moments, des façons de faire qui ne correspondent pas aux publics, mais il n’y a pas de mauvais sujet. Je l’ai prouvé en traitant des sujets un peu plus « durs », un peu plus « sérieux » : quand on choisissait le bon format, ça cartonnait.

Il ne faut pas en vouloir au public. On peut en vouloir à la société d’exclure une partie des individus : 15% de la population française est sortie du système scolaire assez tôt, peut décrocher du système scolaire. Ces gens-là, c’est compliqué de s’adresser à eux, de les intéresser, parce qu’ils se sentent eux-mêmes en marge. C’est à ces gens-là que je voudrais m’adresser en priorité. Et même si on prend la société dans son ensemble, il y a ces journaux, ces magazines qui ne font pas forcément l’effort de les comprendre, de s’adapter à eux.

« L’information, c’est aussi du plaisir »

A coté de cela, il y a une tendance globale à la société des loisirs et aux plaisirs, qui est une tendance de fond. On accorde peut-être moins d’importance à l’effort, et davantage au plaisir. Et encore, je ne suis même pas sûr, c’est une intuition, une hypothèse. Mais encore une fois, je pense qu’il en est de la responsabilité de l’école et des médias de bien faire comprendre que l’information, c’est du plaisir. C’est aussi du plaisir. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. On considère que lire un journal ou lire des choses « sérieuses », c’est chiant. Ça ne devrait pas être comme cela. Je ne pense pas du tout que ce soit une fatalité, au contraire, je ne trouve pas ça normal.

[Voir aussi la catégorie Journalismes sur Mediaculture.fr]

Vous êtes aussi un précurseur dans la diffusion de contenus sur Internet (plusieurs blogs et sites, ZDnet, Future France, à .Net Pro, AltaVista, AOL, etc.), et continuez aujourd’hui à intervenir sur cette thématique (formations, notamment). Y a-t-il des spécificités dans l’écriture web ?

Quand je donne des formations sur l’écriture web, la première chose que je dis est que bien écrire sur le web, c’est bien écrire tout court [Lire aussi : « Les impostures de l’écriture web », et plus largement la catégorie Sociologie web].

On a des outils qui permettent aujourd’hui de voir ce que les gens lisent vraiment, ce qui les intéresse. Si on avait eu les mêmes outils il y a 40 ans, on aurait eu des surprises. On aurait probablement vu que les gens ne lisaient pas autant que l’on croyait qu’ils lisaient. Certes, le contexte a changé et nous sommes désormais submergés d’informations. On a la concurrence de l’attention qui est bien plus importante, puisqu’il y a beaucoup plus de médias. Le contexte est encore plus difficile sur ce point, mais sans doute aurait-on été étonnés aussi il y a 40 ans, si l’on avait constaté que les lecteurs ne lisent que le titre, un peu le chapeau et le reste en diagonale. Bien écrire pour le web, c’est bien écrire tout court, et les outils nous montrent que l’on n’est pas toujours très performant…

Sur les bonnes pratiques, il n’y a rien de nouveau. Je donne toujours ce parallèle en cours, avec les agences de presse du XIX-XXè, sur l’origine de la pyramide inversée. A l’origine, cela provient du fait que la communication, téléphonique en particulier, n’était pas du tout fiable. Elle pouvait couper à tout moment. Par conséquent, le correspondant devait dire le plus important en premier : que s’est-il passé ? Qui fait quoi ? Après venaient le comment, le pourquoi, et avec quelles conséquences. Cette écriture vient donc de la nécessité de dire le plus important « avant que cela ne coupe ». La métaphore est extrêmement intéressante aujourd’hui, puisque nous avons le même problème de connexion, de fiabilité de la connexion, sauf que cela ne coupe pas pour les mêmes raisons. Cela coupe pour des raisons externes, pas pour des raisons technologiques. On est perturbé par notre fil facebook, on a notre mobile qui sonne, etc. La communication peut être coupée à tout moment.

La communication pour le web est donc une question de hiérarchisation : il s’agit de commencer par le plus important, et de mettre en place des relances pour attirer le lecteur à s’intéresser jusqu’au bout à ce qu’on lui dit. Ces bonnes pratiques d’écriture ne sont pas nouvelles. Quand on lit Françoise Giroud, on a les mêmes conseils.

Les deux grosses différences avec la presse papier, ce sont la présence de liens hypertextes, et la dimension multimédia. Sur l’écriture, « rien de nouveau sous le soleil », c’est juste qu’il faut être encore meilleur.

Partie 2 de l’entretien : extraits choisis

Dans cette seconde partie, nous vous proposons une retranscription partielle, mettant l’accent sur des extraits choisis visant à éclairer les questions relatives au(x) modèle(s) économique(s) de la presse, notamment en ce qui concerne les aides publiques à la presse.

Sur ces thèmes, voir aussi la catégorie Business Models sur Mediaculture.fr.

Précisions sur le modèle économique de la presse : viabilité de projets comme Owni, Quoi.info, autres pure players

Tout d’abord, Cyrille Frank considère que « le contenu ne suffit pas ». Il développe ce propos dans son article « La qualité des contenus ne suffira pas à sauver la presse ».

Selon lui, il faut également repenser le financement de la presse : « Quand on voit le coût d’une rotative en presse écrite, cela peut faire vivre 3 ans un site comme Quoi.info. Je ne dis pas qu’il faut arrêter de renouveler les rotatives, mais cela pose question par rapport à un système qui périclite ».

Par rapport à ces financements, pour Cyrille Frank, il importe de prendre en compte l’accès au plus grand nombre d’individus : « J’ai un reproche à faire à Mediapart, c’est que cela constitue des « ghettos culturels pour riches ». L’information est destinée à ceux qui savent déjà, à ceux qui ont la compréhension de l’importance que ça revêt.

Or Mediapart reçoit des aides indirectes à la presse, avec la TVA à 2,1%. C’est une sorte de captation des subsides publics qui ne profite qu’aux plus favorisés. J’exagère, bien sûr, parce que je considère que leur travail d’information est très important et utile à la démocratie, mais sur le principe, cela me choque un peu. Je voudrais bien que cette info soit accessible au plus grand nombre et qu’elle ne soit pas derrière un paywall ».

« Les aides directes à la presse peuvent être comme des drogues : elles n’aident pas la presse à évoluer »

Au sujet de l’intervention des pouvoirs publics (subsides) par rapport aux médias, n’y a-t-il pas un risque de compromettre l’indépendance de la presse ? [lire la réponse de Marc de Haan]

Bien sûr qu’il y a un risque de dépendance aux pouvoirs publics. En ce qui me concerne, je suis contre les aides directes. Les aides indirectes (postales, TVA réduite, etc.) représentent ce qui se passe dans le domaine du livre, dans le secteur culturel. Cela ne pose pas problème, du moment que les bénéficiaires sont bien définis. Les aides directes sont plus problématiques en termes d’indépendance. Elles peuvent vraiment être comme des drogues : le drogué n’évolue pas puisqu’il sait qu’il peut compter sur sa dose, et que quelque part il n’a pas envie de changer ce modèle qui lui convient. C’est une arme à double tranchant qui n’est pas simplement dangereuse par rapport à l’indépendance du point de vue politique, mais aussi dangereux du point de vue de l’innovation et de l’assouplissement de ces titres qui reposent sur une manne confortable. Même dans le domaine cellulaire, l’évolution se fait face à la contrainte…

« L’aide que l’on peut recevoir de l’Etat peut avoir des impacts sur la crédibilité par rapport au public, même si derrière il n’y a pas forcément de tutelle directe »

Un autre problème est qu’en touchant des aides publiques, on peut perdre de sa légitimité publique. On a vu Le Point qui avait fait des unes sur « ces profiteurs », certaines catégories de Français qui utilisent les aides sociales. Ca leur est revenu en plein dans la tête, parce que derrière, les citoyens leur ont dit : « combien vous touchez de subsides publics ? Et vous venez nous expliquer que nous sommes des parasites » ? L’aide que l’on peut recevoir de l’Etat peut avoir des impacts sur la crédibilité par rapport au public, même si derrière il n’y a pas forcément de tutelle directe. Comment peut-on être crédible à dénoncer les niches fiscales, s’il y a toujours la niche fiscale des journalistes ? C’est une question de crédibilité publique que d’être le moins dépendant possible. C’est pour ça que pour moi les aides directes doivent être éliminées.

« La culture, très bien, mais alors la culture pour le plus grand nombre »

A coté de cela, je suis tout à fait partisan des subventions publiques à la culture et à certaines choses. Tout ne doit pas être rentable, et au contraire, je veux que certaines choses ne soient pas dans cette logique. Je suis prêt à payer pour elles, ce sont mes impôts. Je ne crois pas que les gens soient opposés aux subventions culturelles, mais sont opposés à des choses qui sont loin d’eux. Quand on voit que les subventions vont à des festivals (comme Avignon) ou des grands théâtres parisiens qui touchent principalement les plus riches, il y a un problème. La culture, très bien, mais alors la culture pour le plus grand nombre, ou du moins que ce soit équilibré. Je trouve qu’aujourd’hui, ça n’est pas équilibré. C’est pareil pour la presse : celle qui reçoit le plus de subsides est celle qui touche une élite favorisée. Cela manque d’équité.