Petit témoignage sur le monde de l’édition de livres

Février 2019. Aujourd’hui, exceptionnellement, j’ai pris avec moi 2 exemplaires de mon premier livre pour m’accompagner lors d’une petite conférence… Il date de 2012 et à l’époque, il m’a appris des choses sur le monde de l’édition.

[Mise à jour 2023] Ecoutez ici le podcast de présentation de mon livre Nuance ! La puissance du dialogue (2022), dans lequel j’évoque la réalité des auteurs et autrices :

On pourrait croire que « le livre se meurt » depuis l’essor d’Internet, mais en fait jamais autant de livres n’ont été édités que ces dernières années (cf. quelques chiffres de 2017). Le modèle économique de plusieurs grosses maisons est le suivant : éditer en masse en minimisant les coûts au maximum avec l’espoir que certains livres sortent du lot et soient particulièrement rentables.

Le marché du livre se porte bien, mais surtout pour les gros poissons

Sur 60000+ nouveaux titres édités chaque année en France (68000 en 2017), seule une dizaine de milliers touche les rayons d’une librairie. Les autres doivent « bricoler » avec la communication pour se faire connaître. Plus de 40000 ouvrages n’arrivent jamais dans une librairie (Source : Le Monde, 2018).

Sachant ça, il y a des images qui font « un peu » mal au cœur, comme celles de ces rayons occupés entièrement par le dernier essai rédigé par telle ou telle personnalité politique pour vanter des idées rances, par exemple.

Mon éditeur m’avait prévenu : chaque année, plus de 40000 livres ne seront jamais présentés sur les étagères de certaines librairies. D’autres occupent tout le présentoir. Tout l’espace publicitaire. Toutes les chroniques de presse.

Si vous voulez obtenir certains bouquins, il faut donc en avoir connaissance et le faire commander par votre libraire, ou encore connaître un libraire qui a encore le goût des livres et qui prend le risque de mettre en évidence des ouvrages qui risquent de se vendre moins…

Il y a de très bons articles qui expliquent comment fonctionne l’économie du livre, que je ne vais pas réécrire ici (part de la grande distribution, des libraires, des diffuseurs, des éditeurs, des auteurs, etc.). En gros, il faut juste savoir qu’il y a plusieurs intermédiaires. Les grands gagnants, ce sont les grandes surfaces (et leurs équivalents sur Internet) qui ne vendent que les best sellers et à qui les maisons d’édition font des fleurs afin de donner une grande visibilité à leurs bouquins. Les auteurs, les libraires et même les maisons d’édition prennent au contraire un certain nombre de risques, parce que ça leur coûte du temps, de l’argent, ou les deux.

Je vais ici juste parler en tant que « petit » auteur.

Entre 0 € et 3 € par livre vendu

Selon les maisons d’édition (note) que j’ai contactées, je pouvais espérer une rétribution oscillant entre 0 et 12,5% des recettes sur les livres vendus, soit entre 0€ et 3€ par livre (25€) vendu. Pour mon 1er livre, vendu à ±300 exemplaires à ce jour, j’ai touché 0€ (rétribution de 0% jusqu’au 500e livre vendu).

Pourquoi l’auteur touche-t-il proportionnellement si peu ? Il faut comprendre qu’en théorie, l’éditeur prend en charge les coûts de production, puis les autres intermédiaires doivent aussi rentrer dans leurs frais… Pour l’auteur, une fois le manuscrit rédigé, la prise de risque est inexistante du point de vue économique, mais pas pour l’éditeur. Dans cette perspective, il est compréhensible qu’un petit auteur soit crédité d’une marge aussi faible.

De plus en plus d’éditeurs sur le marché demandent à l’auteur de mettre la main à la pâte en prenant en charge tout ou partie des coûts d’impression. On parle alors d’édition à compte d’auteur. Cela peut représenter une contribution de plusieurs centaines à plusieurs milliers d’euros d’investissement, selon les cas. Dans ce cas, l’éditeur ne prend quasiment aucun risque et assure la rentabilité de la manœuvre, mais pas l’auteur. Les maisons d’édition avec lesquelles j’ai travaillé ne m’ont pas demandé une telle contribution.

Livre Julien Lecomte, Nuance, la puissance du dialogue

Mise à jour 2022 : Nuance ! La puissance du dialogue peut être commandé dans toutes les librairies de proximité, dans toute la francophonie. Dans certains cas, il est disponible en rayon, mais c’est relativement rare. Vous pouvez aussi le trouver dans de grosses enseignes de distribution ou sur Internet… Comme vous l’aurez compris, les livres vivent notamment grâce au bouche-à-oreille, donc si vous voulez soutenir ce travail, vous pouvez le commenter publiquement (lui attribuer une bonne note sur Internet, rédiger une publication critique positive, etc.), partager l’information autour de vous… N’hésitez pas à en parler à votre bibliothécaire également !

Bien sûr, un « gros » auteur qui assure que son livre sera un best seller peut tirer bien plus sur les marges, mais autant dire qu’un essayiste peu connu ne peut pas se permettre de vivre de ses livres. Jamais. Dans aucun monde. Et même des ouvrages plus « grand public » comme les romans ou les bandes dessinées offrent un tableau à peine plus joli à regarder.

Si vous achetez l’un de mes livres, il s’agira donc d’un soutien symbolique à mon travail, tout comme vous pouvez me soutenir en lisant et en partageant mon site https://www.philomedia.be

[Mise à jour 2023] Et l’auto-édition ?

Il existe de nos jours davantage de moyens de sortir son propre livre, et notamment celui de se passer d’une maison d’édition traditionnelle. Pour les autrices et auteurs, cela peut ressembler à une aubaine : il y a un intermédiaire en moins à rémunérer, le livre peut prendre un format moins contraignant et son édition passe au-dessus des refus potentiels. L’auteur fixe en outre son propre prix, et donc sa rémunération.

Mais le calcul est incomplet. Lorsque vous êtes en auto-édition, cela veut dire que vous ne bénéficiez pas de toute l’expertise des éditeurs et éditrices, notamment lors de l’écriture du manuscrit et de ses relectures (conseils stylistiques, recommandations de titraille et de format, prise en charge de la mise en page, check grammatical et orthographique, etc.). C’est aussi ce qui fait qu’être éditée ou édité par une maison d’édition reconnue est un gage de qualité.

Quand le texte est terminé, c’est aussi à vous d’assumer les coûts de production (faire imprimer le livre) en trouvant des intermédiaires fiables pour le faire, et ensuite de gérer les stocks qui seront édités. Que se passe-t-il alors si vous faites imprimer 1000 ou 10 000 livres, mais n’en vendez que 100 ?

Cela signifie encore que vous ne bénéficiez pas de la communication (marketing) de la maison d’édition, ou des relais et contacts avec les diffuseurs, distributeurs et libraires qui permettent de mettre votre livre en avant et de le référencer correctement sur Internet. C’est enfin à vous de garder la preuve de vos ventes pour déclarer vos droits d’auteurs.

Plus de 100 millions de livres sont pilonnés chaque année en France

J’en viens au plus trash de mon point de vue. Âmes sensibles et amoureux des livres, s’abstenir. Le pilon.

Des millions de livres invendus sont pilonnés chaque année en France. Ils sont détruits, purement et simplement. 1 livre sur 4 est détruit sans avoir été lu. 142 000 000 de livres en 2015.

> Lire aussi : Le filon du pilon (Youpress.fr, 2007) et « On achève bien les livres », un documentaire sur le pilon (Small et Beautiful, 2014)

Ainsi, 1 livre sur 4 est détruit, et ce sans jamais avoir été lu. Ils sont ensuite recyclés notamment en papier cul, ce qui illustre bien comment on se torche avec les livres (Source : Le livre français : 142 millions de volumes pilonnés en France (en 2015)).

Et figurez-vous qu’ils ne sont pas détruits n’importe comment. Dans certains pilons (je ne sais pas si c’est le cas de tous), les livres sont d’abord entièrement encrés avant d’être broyés. Oui donc non seulement on gaspille, mais on salope bien le travail pour être sûr.

Je terminerai en explicitant que les éditeurs que j’ai rencontrés ont toujours été transparents et honnêtes avec moi : mes constats ne les concernent pas en particulier. Quelqu’un a lu mon manuscrit, parfois plusieurs personnes, j’ai été reçu dans deux maisons d’édition, échangé des courriers, etc. On m’a expliqué directement la réalité du marché (j’ai conservé des courriers où tout ceci est écrit noir sur blanc), les livres qui ne touchent jamais un présentoir, etc. Il s’agit d’une réalité systémique.

Le livre n’est clairement pas le marché le plus lucratif, même les grosses boites prennent des risques en éditant, imprimant et diffusant des livres. De plus, heureusement, il y a encore des éditeurs, auteurs, libraires et autres qui travaillent pour l’amour du livre. Mais il y a quand même des dysfonctionnements majeurs et surtout beaucoup, beaucoup, beaucoup de gâchis…

En résumé…

En France, chaque année, plus de 60000 nouveaux livres sont édités.

La plupart d’entre eux (±40000) ne seront pas visibles en librairie.

Plus de 100 000 000 de livres sont détruits.

Sur un livre vendu, un auteur peut espérer toucher environ 10% du prix de vente (montant brut, et ce sont plutôt de bonnes conditions), car il faut aussi que d’autres intermédiaires s’y retrouvent : libraires, maisons d’édition, imprimeurs, distributeurs… Dans certains cas, c’est même à lui de couvrir les frais de fabrication et de promotion des livres.

L’auto-édition est un choix tentant, mais il est loin d’être la panacée car cela implique plus de risques financiers et de devoir tout gérer sans l’aide d’une maison d’édition.

Par conséquent, si vous appréciez un livre, au-delà des aspects financiers, parlez-en autour de vous !

Les idées et la culture ne vivent que si on les partage.

Un commentaire

  1. Une maison d’édition n’est pas l’autre. Certaines accompagnent les autrices et auteurs durant tout le projet pour améliorer le manuscrit. Le texte est alors relu et retravaillé à maintes reprises sur le fond (clarté, structure…) et sur la forme (orthographe, tournures de phrases, mais aussi mise en page, esthétique graphique). Ces maisons prennent généralement plus de risques que les autres, en misant sur la spécificité de leurs ouvrages, leur caractère innovant ou même subversif… Elles doivent ensuite allouer beaucoup de ressources pour communiquer autour de ces bouquins… D’autres maisons d’édition (souvent, plus « industrielles ») misent davantage sur le quantitatif et le « mainstream » : elles publient beaucoup d’ouvrages à moindre frais. Dans tous les cas, ces maisons d’édition doivent faire face à des coûts, notamment d’impression, de diffusion et de promotion, et d’autres intermédiaires doivent être rémunérés. Il existe aussi des éditeurs qui demandent aux auteurs d’avancer un montant pour fabriquer leurs livres, voire qui prospectent en ce sens. Ce modèle, de plus en plus répandu, n’est cependant pas pratiqué par la plupart des maisons d’éditions « classiques », dont le fonctionnement demeure la publication à compte d’éditeur.

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