Analyse des stéréotypes de genre dans la publicité. Etude de cas sur base de la vidéo Pop Modèles

Article rédigé par Justine Deham (Profil Linkedin) dans le cadre du cours Médias, philosophie et citoyenneté (Master en éducation aux médias, Ihecs, 2018-2019).

Dans le cadre de cet article, nous avons choisi d’aborder la représentation de la femme dans la publicité au travers de la vidéo Pop Modèles : « Les stéréotypes de genre dans la publicité ». Sur base d’une analyse de ce dispositif et de ses enjeux, nous proposons ensuite une activité pédagogique (réalisable avec des enfants de 10-12 ans).

Pourquoi analyser les stéréotypes de genre dans la publicité ?

Même si nous partons d’une vidéo et donc d’un objet médiatique, il s’agit d’un phénomène bien plus large.

Ainsi, depuis le milieu du 18e siècle, la presse féminine existe, mais c’est seulement dans les années 1950 que la femme est représentée dans de nombreuses et diverses publicités (Dufossé, Gautier & Rébillon, 2013). Elle alterne alors divers rôles, allant de la ménagère à la séductrice, en passant par la femme-objet, l’idiote ou encore la professionnelle subalterne (Média Animation, 2017).

A travers la diffusion et la réception de ces rôles variés, la publicité offre à chaque citoyen la possibilité de se positionner et d’élaborer des significations, certes hétérogènes, mais révélatrices de la pensée sociale. Jean-Claude Soulages nous dit que « derrière son catalogue de mondes possibles, la publicité propose son propre reflet rêvé et « imaginarisé » de la réalité sociale, des modes de vie et de consommation, égrenant un vaste système de classement de soi et des autres. La définition du genre y apparait bel et bien comme un espace de conflictualité à l’intérieur duquel se joue une lutte symbolique pour la construction des identités des êtres sexués et de leur être social » (Soulages, 2014). La publicité est, d’une part, un véritable système de construction identitaire et, d’autre part, représentative de la pensée sociale collective.

Nous sommes donc dans une société qui consomme consciemment ou inconsciemment des objets médiatiques (dont la publicité) vecteurs de stéréotypes, préjugés, voire diktats idéologiques. Dès lors, il semble pertinent de les déconstruire et de les analyser.

Dans cet article, nous étudions ce phénomène complexe à travers ses présupposés épistémologiques et moraux (Lecomte, 2018) et ses enjeux idéologiques et politiques. Pour ce faire, nous baserons notre analyse dans un premier temps sur la vidéo Pop Modèles. Dans un second temps, nous l’étayerons avec des exemples et contre-exemples.

Une méthode d’analyse de contenu basée sur la philosophie : l’analyse des présupposés épistémologiques et éthiques

Représentation et stéréotype

La vidéo Pop Modèles, Média Animation nous propose une explication et une déconstruction des stéréotypes de genre dans la publicité, basés, principalement, sur la stigmatisation de la femme. Avant de nous lancer dans l’analyse de cette vidéo, il convient de définir les concepts de représentation et de stéréotype.

Pour commencer, une représentation sociale désigne « une forme de connaissance sociale, la pensée du sens commun, socialement élaborée et partagée par les membres d’un même ensemble social ou culturel » (Rateau & Rouquette, 1999). Ainsi, nous pensons, nous emparons et déchiffrons la réalité et son rapport au monde. Selon Serge Moscovici, « les représentations individuelles ou sociales font que le monde soit ce que nous pensons qu’il est ou doit être » (Moscovici, 1961). Dès lors, il semblerait que les représentations offrent une vision très normative de notre société, elles reflètent le monde tel que nous souhaitons le voir, du moins, tel qu’on nous a donné à le voir. En effet, dans le cas précis de la publicité, les représentations ont la prétention de vouloir refléter le monde de manière réaliste.

En outre, ces représentations peuvent générer des stéréotypes culturels négatifs, plus ou moins ancrés dans les sociétés, provoquant une vision déterministe voire réductionniste. Selon Gaël Brulé, « un stéréotype peut représenter une croyance qu’une personne entretient au sujet des caractéristiques des membres d’un groupe exogène, ou bien une généralisation touchant un groupe de personnes et les différenciant des autres » (Brulé, Bruna, Naves, & Zegaï, 2014). Un stéréotype considère donc la personne comme déterminée par les lois extérieures. Dès lors, on prétend que cette personne n’est pas autonome (libre de se prescrire ses propres lois). Nous pouvons rapprocher les stéréotypes d’une forme de dogmatisme, dans la mesure où certains sont tellement ancrés dans les mœurs que, parfois, on ne s’en aperçoit plus et qu’on les considère comme incontestables.

Par conséquent, les représentations et, par extension, les stéréotypes, s’avèrent avoir un caractère réducteur et une vision normative, voire dogmatique, de notre société, et ce en dépit d’une prétention réaliste (ils se donnent à voir comme s’ils représentaient le réel). Nous préférons considérer que les représentations ne sont pas – toujours – le reflet du réel et font donc appel à la notion de constructivisme nominaliste. Certes, nos croyances sont le fruit de constructions qui peuvent, dans certains cas, refléter correctement la réalité, mais, dans d’autres cas, il s’agit surtout de constructions sociales qui ne sont autres que des conventions arbitraires.

Qu’est-ce que le constructivisme ?

La représentation de la femme : le reflet de la réalité ?

Dans la vidéo Pop Modèles et l’article qui s’y rapporte, même si l’on tente d’expliquer ce qui se passe dans le champ médiatique en termes de stéréotypes et représentations genrés dans la publicité (prétention descriptive), on est plutôt face à une posture normative. Ainsi, en nous expliquant les stéréotypes genrés féminins se trouvant dans la publicité, on nous suggère ce qui est bien et ce qui est mal, ce qu’il « faudrait » faire et ce à quoi il faut faire attention dans le but de nous émanciper des normes.

La publicité véhicule nombre de clichés et de stéréotypes à l’égard des femmes. Ainsi, afin de rendre une marque attrayante, il convient de « ponctionner les clichés réducteurs du réel pour les transformer en stéréotypes publicitaires. Dès lors, tous les coups sont permis, ou presque, du moment que l’on conforte le consommateur dans ses propres clichés » (Média Animation, 2017). L’individu pourrait considérer alors que ce qu’il voit à travers ces publicités est le propre reflet de la réalité. C’est la norme.

Cependant, si nous nous interrogeons sur le constructivisme et que nous reprenons l’analyse de Jacques Piette sur le fonctionnement des médias, le cliché se construit petit à petit. De fait, la « non-transparence des médias » « établit que leurs messages ne doivent pas être abordés comme le simple reflet de la réalité, mais envisagés comme des « constructions », des « représentations » de la réalité. Les médias ne sont ni « des fenêtres sur le monde », ni des « miroirs » qui ne font que refléter des images de ce qui se passe. Leurs messages expriment toujours des points de vue particuliers » (Piette, 2007). Il est donc nécessaire de faire la nette différence entre des représentations de la réalité, qui s’inspirent de celle-ci selon des perspectives diverses, et la réalité elle-même. Si nous n’y parvenons pas, il est probable que cela ait des impacts sur notre perception du monde et, dans le cas présent, de la femme.

Questions d’épistémologie

« 5 femmes en 1 »

Pop Modèles nous dresse le portrait des différentes manières réductrices de représenter la femme : la femme au foyer (ou la ménagère), la femme objet, la ravissante idiote, la femme animale ou encore la professionnelle.

Dans tous les cas, elles ne jouissent d’aucune liberté quant à leur condition, ne semblent avoir aucun choix ou libre-arbitre afin de déterminer les personnes qu’elles sont. La société a conditionné cette image réductrice de la femme où elle est prédestinée à incarner ces rôles. Nous ne développerons pas l’ensemble de ces cinq rôles étant donné que les présupposés qu’ils sous-tendent deviendraient redondants. Dès lors, nous nous attarderons sur trois d’entre eux : la femme au foyer, la femme objet et la professionnelle.

« La femme au foyer »

Tout d’abord, prenons l’exemple de la femme au foyer au travers des publicités Moulinex et Lean Cuisine.

Pour la société, c’est la femme qui fait la cuisine, le ménage et qui s’occupe des enfants. Ainsi, on considère la femme comme relevant d’une « nature » propre qui ne change pas, qui n’évolue pas, comme s’il s’agissait de son essence (Lecomte, 2018). La représentation de la femme parait figée. Nous sommes alors face à une tendance essentialiste et non existentialiste. Mais au fond, n’évolue-t-on pas constamment ? Ne construisons-nous pas notre identité au fur et à mesure de notre existence ? Tout comme Sartre, nous croyons plutôt au principe d’existentialisme selon lequel l’être humain peut changer en fonction de sa volonté, où il peut se définir lui-même selon ses actions.

Qu’est-ce que l’existentialisme ?

En outre, sur la publicité Moulinex est inscrit « Moulinex libère la femme ». Cela laisse clairement transparaitre la notion de liberté. Mais sous quel sens ? Cela signifie-t-il que, étant donné que Moulinex existe, l’homme pourra également faire la cuisine car elle serait plus facile, désormais ? Ou à l’inverse, la femme est, en quelque sorte, libérée d’une corvée contraignante, mais continue tout de même à être assignée à cette tâche ? Nous optons plutôt pour la deuxième signification en regard de laquelle la notion de liberté est tout à fait insensée. En effet, ce n’est pas parce que des ustensiles de cuisine « révolutionnaires » voient le jour que la femme doit continuer à vivre selon des règles qui lui ont été socialement imposées. Dès lors, on peut parler d’hétéronomie ou encore de déterminisme social.

Dans la publicité de Lean Cuisine, même si c’est encore une femme qui est représentée dans la cuisine, on sous-entend que pour réussir professionnellement, la femme doit s’émanciper de ce rôle de femme au foyer. Nous ne savions pas qu’il avait été scientifiquement prouvé que la réussite professionnelle et les tâches ménagères, ne faisaient, justement, pas bon ménage… Dans tous les cas, nous arrivons à des considérations similaires à celles de l’Ecole de Francfort (ou encore Ecole critique, avec notamment d’Adorno et Horkheimer). En décodant les messages médiatiques, des idéologies fortes sont véhiculées par la publicité à l’égard des femmes. Ces idéologies sont le reflet d’un système de domination symbolique de l’homme sur la femme où les industries médiatiques, et ici, publicitaires, renforcent cette vision du monde.

Or, certaines publicités prennent le contre-pied et proposent de représenter les hommes dans les tâches ménagères. C’est le cas, par exemple, de la campagne LG Electronics Inc, « Un petit pas pour l’homme, un bond pour sa femme », en 2004.

Cette campagne publicitaire représentant un homme dans une cuisine ou faisant le ménage peut être abordée avec optimisme ou pessimisme quant à son rapport aux stéréotypes précédemment exposés :

  1. On est optimiste face à cette publicité qui prend le parti de ne plus représenter la femme dans son rôle de ménagère. A force de lutter contre les stéréotypes, il semblerait que la publicité évolue et veuille modifier la représentation des genres, trop souvent cadenassée dans des cases. Il y a donc cette idée d’émancipation, de libération de cette vision stéréotypée.
  2. On est pessimiste face à cette publicité qui, au fond, comme le dit la vidéo Pop Modèles, use de l’humour pour renforcer un stéréotype déjà bien ancré dans nos mœurs. On suggère que l’homme ne fait habituellement rien dans la maison et que le fait d’acquérir des outils plus techniques le motivera à s’y mettre (voire que l’outil s’en chargera pour lui). On associe alors la technologie à l’homme qui, sans elle, ne serait capable de rien. Par conséquent, on renforce, et l’image de la femme, bonne pour la cuisine et le ménage, et l’image de l’homme, incapable de s’atteler aux tâches ménagères et rattaché à la technologie. Nous ne sommes, dès lors, plus dans une vision émancipatrice, mais plutôt aliénante qui réifie tant les femmes et les hommes dans des rôles essentialistes.

« La femme objet »

Ensuite, passons à la femme objet avec les publicités de Dior et de Calvin Klein Jeans.

La femme est régulièrement hypersexualisée dans la publicité. Ainsi, on utilise la technique du « porno-chic ». Pop Modèles nous l’explique comme « une technique qui consiste à suggérer la sexualité voire même la soumission sexuelle » (Média Animation, 2017). Ces campagnes « axées sur des produits d’apparats (cosmétiques, accessoires de luxe, etc.) ou d’adjuvants de parades sexuelles (parfums, eaux de toilette, etc.) cristallisent un univers de croyances – celui de la séduction et de l’attraction sexuelle – qui repose non plus sur une valorisation ustensilaire du produit, mais sur un phénomène de cristallisation débouchant sur diverses tentatives de figuration de genre » (Soulages, 2014). En effet, lorsque l’on regarde ces deux publicités, on remarque que la femme est fortement dénudée et dans une position suggestive.

Questions de philosophie morale

Comme on peut le voir dans la publicité Calvin Klein Jeans, la femme est mise dans une position de viol collectif. Les médias ont compris que cette technique attirait et séduisait le grand public. Mais, pourquoi ? Dans d’autres circonstances, ce viol collectif serait perçu comme révoltant, or, ici, on l’accepte, on le rend légitime. D’une certaine manière, nous pourrions parler de conséquentialisme : « on suggère qu’une action est bonne ou mauvaise en fonction de ses conséquences » (Lecomte, 2018). Dans ce cas précis, le viol est mis en scène comme s’il ne générait pas de souffrance (voire, comme si, au contraire, il était vecteur de plaisir). La forte mise en scène peut également amener à penser qu’au final, tout cela est fictif, que la seule vraie conséquence de cela n’est que la vente d’un produit.

Dans la publicité Dior, le corps de la femme est exploité pour vendre un parfum. Il est évident que les notions de déterminisme et d’essentialisme sont, tout comme les publicités précédentes, prédominantes dans ces exemples. La femme semble enfermée dans un rôle relevant d’une « nature propre » et immuable. Nous pourrions même donner comme maxime à ces représentations : « Sois belle et tais-toi ! ».

Qu’est-ce que l’essentialisme moral ?

Cependant, certaines publicités, comme Eram, prennent le contre-pied et évitent de vendre un produit en utilisant le corps hypersexualisé de la femme.

A travers cette campagne, Eram va à l’encontre de la vision normative présente dans la plupart des campagnes publicitaires. Elle se veut émancipatrice car elle souhaite nous faire prendre conscience des stéréotypes, voire du sexisme dans la société. D’une certaine manière, elle nous propose de nous en libérer et de nous ouvrir à d’autres points de vue, d’autres perspectives. Ainsi, elle souhaite nous faire réfléchir au travers d’une dynamique dialectique. Finalement, cette campagne existe parce que des visions stéréotypées existent. Elle rentre en dialogue avec celles-ci et nous permet de les mettre à distance, et de ce fait d’amener à une forme de réflexivité.

Autrement dit, cette campagne a une vision non-stéréotypée de la femme objet, elle prend en compte les publicités stéréotypées existantes pour proposer une nouvelle façon de voir les choses. Elle nous permet de quitter le modèle aliénant, d’enlever nos œillères afin d’avoir une réelle réflexion quant à l’exploitation abusive du corps de la femme dans la publicité. Pour cela, elle utilise un double processus : l’utilisation du visuel et le recours à la phrase « Aucun corps de femme n’a été exploité dans cette publicité ». Ce processus entre dans le domaine de la pragmatique linguistique « qui entend étudier les échanges sous l’angle relationnel : la langue ne se contente pas de transmettre des informations, elle contribue à structurer une relation entre les interlocuteurs, relation qui fournit un contexte d’interprétation des contenus transmis » (Campion, 2017-2018). Ainsi, une relation va se créer entre la publicité et son récepteur où ce dernier interprétera son contenu. L’interprétation attendue étant la dénonciation des stéréotypes de la femme objet dans la publicité.

« La femme au travail »

Enfin, nous nous arrêtons sur le rôle de la femme au travail avec les publicités Ouiz ou encore une campagne de recrutement (2011) pour l’Éducation nationale en France.

La vidéo Pop Modèles met en évidence que, professionnellement, les femmes sont souvent cantonnées au domaine esthétique ou aux commerces de proximité alors que les hommes sont plutôt astreints au domaine des finances, des voitures ou de l’artisanat. On les met en avant avec un costume, un emploi du temps chargé, occupant de grandes responsabilités. Dans certains cas, les femmes occupent un poste « d’homme » mais lorsque c’est le cas, elles paraissent débordées et mal ou peu écoutées. C’est le cas dans la publicité Ouiz où seule une femme siège à la table de réunion de hauts fonctionnaires masculins. Celle-ci peine à se faire entendre et ce n’est que lorsqu’elle parle de « montrer sa chatte » que l’attention des hommes, à son égard, est enfin captée. Nous sommes encore dans une attribution des rôles bien déterminée avec une nette distinction entre l’homme et la femme.

Dans la publicité pour le recrutement de l’éducation nationale, on nous propose deux visions à connotations fortement genrées, comme le montre la comparaison suivante.

Laura :

  • Couleurs plutôt roses, environnement de détente et de sérénité. Corps vers l’arrière, dans une posture plutôt « passive »
  • Littérature mise en avant
  • Le poste : serait-ce le seul que Laura pourra trouver ? On nous dit également que « C’est l’avenir qu’elle a toujours envisagé ». Cela correspond à une vision déterministe, réductrice ; son rêve est perçu comme sa destinée.

Julien :

  • Couleurs plutôt bleues, environnement professionnel et studieux. Corps vers l’avant, dans une posture plutôt « active »
  • Technologie mise en avant
  • Un poste : cela suggère-t-il qu’il a d’autres perspectives de carrière ? On nous dit également que « C’est la concrétisation de son projet professionnel » ; il est ambitieux, professionnel et dynamique.

Donc ces deux cas, nous sommes totalement face à une vision essentialiste et dualiste. Nous ne reviendrons pas sur la notion d’essentialisme qui a déjà été développée à plusieurs reprises précédemment, mais nous nous attarderons plutôt sur cette notion de dualité.

Au contraire du pluralisme qui envisage plusieurs types de réalités à prendre en considération, le dualisme suppose qu’il n’existe que deux réalités bien distinctes : dans ce cas précis, la réalité de la femme et la réalité de l’homme. Chaque protagoniste est cloisonné dans un rôle bien précis, enfermé dans une case. Dans l’article, lié à la vidéo Pop Modèles, on nous parle aussi de différentialisme. C’est le postulat « que les différences culturelles reposent sur des différences naturelles, s’opposant ainsi à l’universalisme » (Média Animation, 2017). Ce postulat sous-entend que la vision essentialiste repose sur la nature immuable de l’homme et de la femme. La publicité semble avoir établi que le sexe précédait le genre alors que ce n’est pas forcément le cas : « les sociétés mobilisent l’idéologie de la définition biologique du sexe pour légitimer et soutenir une hiérarchie de genre fondée sur l’oppression » (Média Animation, 2017). Ces diverses constations valent aussi pour les autres rôles précédemment expliqués.

Eduquer et réguler

Face à cet environnement médiatique publicitaire, plusieurs possibilités s’offrent à nous : d’un côté, éduquer aux médias, de l’autre, réguler les médias (Verniers, 2009).

Selon le Conseil Supérieur de l’éducation aux médias, « l’éducation aux médias a pour finalité de rendre chaque citoyen actif, autonome et critique envers tout document ou dispositif médiatique dont il est destinataire ou usager » (CSEM, 2013). L’éducation aux médias, et dans notre cas, l’éducation à la publicité genrée, nécessite d’adopter une posture critique. En effet, cette représentation stéréotypée, voire sexiste de la femme, témoigne d’un mal-fonctionnement social où la dualité entre les genres est devenue normale. Pour analyser et déconstruire ces représentations idéologiques et la manière dont elles sont perçues, il est nécessaire d’avoir un ensemble d’outils de lecture (Verniers, 2018).

Malgré ces outils, il faut prendre conscience que la réception de ces publicités dépend fortement de paramètres socio-affectifs : notre appartenance, nos préférences, nos caractéristiques sociales et affectives, etc. Ceux-ci font en sorte que nous recevons l’information d’une manière différente par rapport à un autre individu. Notre façon de voir les choses est alors subjective, on peut parler de perspectivisme : il y a plusieurs manières de voir une même publicité. Le risque, en éducation aux médias, c’est de mettre trop en avant notre part de subjectivité et d’interchanger les idéologies et représentations véhiculées dans ces publicités par les nôtres. Par exemple, une féministe engagée rejetterait en bloc toutes ces publicités en fonction de son point de vue et ses valeurs, sans laisser place aux impressions, vécus, représentations des apprenants. Dès lors, il est important que chacun développe sa métacognition, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de s’arrêter simplement sur l’étude et l’analyse des publicités stéréotypées mais d’analyser notre relation à celles-ci (Lecomte, 2018).

Questions philosophiques d’éducation aux médias

La régulation, quant à elle, est « un acte législatif qui confère la réalisation des objectifs définis par l’autorité législative aux parties concernées reconnues dans le domaine (notamment les opérateurs économiques, les partenaires sociaux, les organisations non gouvernementales ou les associations) » (Comité économique et social européen, 2003). Cela signifie que divers organes observent et analysent les médias sous l’angle de l’égalité et la diversité, pour le cas qui nous intéresse. De cette manière, des lois, des règles, des chartes, des normes ont été érigées.

Prenons le cas du Jury d’Ethique Publicitaire qui se veut être un organe d’auto-régulation. Il se proclame comme autodiscipline qui est « une expression de la volonté du secteur professionnel de s’imposer des règles de conduite et par conséquent de prendre ses responsabilités d’un point de vue social et économique » (JEP, s.d.). Pour ce faire, le JEP s’appuie, notamment, sur le code de la Chambre de commerce internationale et celui de la représentation de la personne. Ce sont des outils législatifs qui prescrivent une norme à suivre. En effet, les articles sont rédigés avec les termes « doit », « ne doit pas » ce qui leur donne une valeur normative. Cela laisse relativement peu de place à la réflexion citoyenne. Ainsi, l’ensemble des acteurs constituant le jury évalue si une publicité répond ou non à ces normes.

De plus, cet organe est constitué de divers membres issus de plusieurs horizons : une moitié provient de la société civile et l’autre du secteur publicitaire. Malgré le fait que des normes sont en vigueur, elles sont interprétées, tout comme dans le cas de l’éducation, en fonction de paramètres socio-affectifs. Cela signifie qu’en fonction de leur background, les différents protagonistes appliquent la norme à la publicité « comme ils l’entendent ». Dès lors, nous pouvons parler de pluralisme des perspectives dans la prise de décision finale.

Un autre élément à envisager est la notion de conséquentialisme. La décision finale est prise après interrogations et réflexions quant aux conséquences que cela peut provoquer concernant l’image de la femme dans la société.

Nous pensons qu’il ne faut pas prendre ces deux pôles – éducation et régulation – séparément. Il conviendrait de les combiner afin de s’émanciper socialement face au phénomène médiatique qu’est la publicité.

Pop Modèles éduque ou régule ?

La vidéo Pop Modèles a plutôt une fonction éducative. Elle tente, dans un premier temps, de recenser ce qui se fait dans le domaine publicitaire du point de vue des stéréotypes féminins. Dans un second temps, elle suggère ce qui est « bien » et ce qui est « mal », ce à quoi il faut faire attention et ce qui serait nécessaire de réaliser dans ce milieu. Enfin, elle offre la possibilité d’aiguiser notre pensée critique et de nous remettre en question quant à notre réception et perception de ces publicités. Elle laisse une porte ouverte à la réflexion.

D’une certaine manière, elle nous offre la possibilité d’ouvrir les yeux sur ces normes sociales qui guident le monde publicitaire. On ne serait plus aliéné par cette réalité mais on s’en émanciperait puisqu’elle nous fait prendre conscience de la présence des stéréotypes. On ne peut plus rester dans l’ignorance, à moins de vouloir y rester. Ainsi, elle nous permet de retrouver une certaine liberté, nous offre une possibilité de choix par rapport à ces représentations et stéréotypes : les accepte-t-on ? Les réfute-t-on ? Décide-t-on d’en prendre conscience ? D’agir ? De réagir ? D’y réfléchir ? De les nuancer, notamment à travers une plus grande diversité de représentations (pluralisme) ?

Si nous considérons que cette vidéo est émancipatrice, les femmes pourraient se libérer du statut qui leur est attribué, un statut pouvant provoquer de la souffrance. Par exemple, comme nous l’avons vu, certaines publicités banalisent le viol et une femme en ayant été victime pourrait culpabiliser puisque cela parait « normal ».

Mais cette émancipation ne se ferait pas uniquement pour les femmes. Elle concerne tout le monde, du moins tous ceux qui sont « asservis » par cette vision réductrice et essentialiste du monde. En effet, comme nous l’avons vu précédemment, les hommes et leurs rôles sont également enfermés dans des catégories figées. Se posent alors les questions suivantes : pourrions-nous être plus heureux si nous étions émancipés de cette réalité ? En quittant cette vision essentialiste et en nous dirigeant vers une vision plus existentialiste, c’est-à-dire en prenant conscience que nous ne sommes pas soumis à des règles extérieures immuables et que nous pouvons nous construire, évoluer et progresser, serait-on capable d’accéder au bonheur ? Nous pouvons prendre le risque de répondre à la positive (et adoptons de ce fait une approche conséquentialiste interrogeant les conséquences morales des stéréotypes de genre). En effet, hommes et femmes pourraient choisir et être libres de leurs actes, de leurs relations, de leurs comportements sans craindre de devoir rentrer dans le moule de la société.

Ces différents éléments peuvent se révéler utiles dans la mesure où ils permettraient de développer notre pensée critique et notre capacité métacognitive.

Synthèse de l’analyse et perspectives

L’analyse proposée ci-dessus permet de baliser diverses notions relatives à la représentation des femmes dans la publicité.

Nous appuyant sur la vidéo Pop Modèles, il convient de mettre en perspective deux approches : d’une part, ce qu’elle donne à voir, d’autre part, le rôle que nous pouvons lui attribuer.

Tout d’abord, elle nous parle des représentations et stéréotypes de la femme qui sont des constructions de notre esprit collectif. Nous appréhendons le monde avec des a priori, des préjugés et ceux-ci prétendent à l’objectivité de la réalité. Or, il n’en est rien. Il ne faut pas que ces préjugés soient un obstacle à notre réflexion, à notre jugement. Il ne faut pas les prendre tels quels, sans les remettre en question. Selon Gadamer (cité par Ipperciel, 1997), il conviendrait plutôt de les prendre comme point de départ pour réfléchir sur le monde et faire évoluer notre manière de les voir. Il est évident que, vu de cette manière, nous prétendons à une nouvelle vision normative en employant les termes « il faut » : nous quittons une vision normative du rôle de la femme pour aller vers une nécessité réflexive sur cette vision réductrice.

En effet, cette vidéo dénonce la vision déterministe et essentialiste de la femme (et des relations entre les genres) dans la publicité. Celle-ci est cantonnée aux mêmes rôles, sans liberté de choix. Cela semble être sa seule et unique option, comme si ces rôles étaient des nécessités à sa condition de femme. Le fait que la société accepte cela suppose qu’elle est, en quelque sorte, aliénée par cette réalité, comme si elle l’acceptait en ignorant ses conséquences. Au fond, est-ce qu’en ignorant cette réalité, ne serions-nous pas plus heureux ? Faut-il se satisfaire de cette réalité sans ambitionner de la changer ? Nous pensons qu’il est nécessaire de ne pas juste se contenter de la réalité, mais d’être acteur de celle-ci. Pour cela, il conviendrait de s’en émanciper, de devenir des citoyens responsables et autonomes. En outre, nous préconisons ici de considérer l’être humain en général comme évoluant et se construisant au fur et à mesure de sa vie, et non en fonction d’une identité figée une fois pour toutes. Ceci amène aussi à interroger la diversité des représentations, en regard de cette complexité du réel.

Ces divers éléments démontrent une forme de dogmatisme où la dualité des rôles féminins et masculins semblent être indiscutables. Nous aimerions exposer notre vision des choses qui exclurait le dogmatisme, mais aussi le relativisme, car nous ne considérons pas que toutes les vérités se valent. Ainsi, nous ne prétendons pas remplacer un système normatif par un autre qui lui-même serait considéré comme absolument bon et immuable. Néanmoins, l’évolution des mœurs devrait permettre de construire, de développer une nouvelle réalité, jour après jour, en tenant compte de la complexité du social. En l’occurrence, nous optons également pour un parti pris pragmatiste en privilégiant une approche qui ouvre au maximum le champ de l’action humaine.

Ensuite, cette vidéo peut être, selon notre opinion, synonyme de contre-pouvoir et se veut émancipatrice et éducative. Ces trois notions sont interreliées entre elles. Effectivement, Pop Modèles envisage les médias publicitaires comme véhiculant des clichés réducteurs de la femme et, d’une certaine manière, vise à les dénoncer et à prendre du recul vis-à-vis de ceux-ci. Il ne suffit pas de regarder cette vidéo pour être éduqué au phénomène médiatique. Il nous parait évident qu’elle est un point de départ à une réflexion sur les valeurs véhiculées au travers de ces publicités et qu’il faudrait adopter une posture critique face à leurs effets, potentiellement « dommageables » (notamment en termes de discriminations, ce qui renvoie également à une approche conséquentialiste).

Enfin, les publicités stéréotypes sont certainement perçues différemment d’une personne à l’autre en fonction de leurs paramètres socio-affectifs, mais il nous semble important que chacun puisse se distancier de son ressenti, de son point de vue pour accepter aussi la vision d’autrui. Dès lors, cette vidéo sera également perçue différemment d’une personne à l’autre. Cependant, il convient de faire preuve de décentration et d’accepter ainsi le pluralisme des opinions. Il est vrai qu’à première vue, peut-être, que certains ne prendront pas le temps de s’arrêter sur ces publicités, d’envisager les conséquences de celles-ci parce que ça ne les touche pas forcément ou directement. Mais s’ils apprennent à s’ouvrir aux autres, à envisager les conséquences que cela peut avoir sur la société, sur autrui et même sur soi alors des changements positifs pourraient s’opérer. C’est déjà d’ailleurs le cas avec certaines campagnes comme Eram.

Développer la capacité à changer de point de vue : les enjeux de la décentration

Activités pédagogiques

Afin d’aller au-delà d’une analyse des représentations de la femme dans la publicité, au travers de la vidéo Pop Modèles, nous proposons une action éducative pour un public particulier, dans un contexte précis.

L’intervention pédagogique concerne des enfants de 6e primaire. Ils sont donc âgés d’environ 11/12 ans. Nous considérons qu’il est important d’aborder cette thématique dès le plus jeune âge afin de les conscientiser face à ce phénomène médiatique normatif. En effet, les jeunes d’aujourd’hui sont amenés à devenir les citoyens acteurs, autonomes, responsables et avertis de demain. Dès lors, il convient de les aider à différencier la publicité de la réalité.

De plus, les publicités « font fréquemment la promotion d’une image corporelle irréaliste et malsaine pour les filles autant que pour les garçons » (HabiloMédias, 2016). Il est donc important d’en discuter avec les enfants et de les aider à les comprendre en s’interrogeant : en quoi cela peut être blessant ? Comment les perçoivent-ils ? Comment pourrait-on agir ?

Cette activité est à concevoir dans le cadre scolaire, dans une classe d’enseignement fondamental ordinaire. Il est important de préciser que nous sommes généralement face à une classe constituée de 20 à 25 élèves. Il s’agit d’intégrer cette activité dans le cours d’éducation aux médias. Cependant, nous sommes conscients qu’il est encore difficile pour les enseignants de l’intégrer à leur programme de cours. Dans ce cas, elle peut être appliquée dans le cours de philosophie et de citoyenneté.

Objectifs

  • Prendre conscience de ses propres représentations et stéréotypes féminins/masculins ;
  • Prendre conscience que la publicité n’est pas la réalité ;
  • Construire une publicité avec une intention particulière.

Durée et dispositif pédagogique

  • 3 périodes de 50 minutes (activité n°1 : 2 x 50 minutes/activité n°2 : 1 x 50 minutes)
  • Ateliers tournants (en groupe)
  • Création d’une publicité (individuellement ou par petits groupes)

Matériel

  • Activité n°1: Publicités diverses et variées (images fixes et vidéos), tablette ou ordinateur (si vidéos), cahier d’ateliers (pour avoir une trace)
  • Activité n°2: Magazines divers (ex. Femmes actuelles), feuilles blanches, ciseaux et colles

Déroulement

Activité n°1

Etape 1 : Proposer plusieurs ateliers tournants autour desquels se trouvent 5 élèves environ. Une fiche de route (ou un cahier d’ateliers) est essentielle afin d’en garder une trace :

  • Qui peut faire quoi avec… ?

Proposer différentes questions aux enfants de type : « L’homme/la femme peut faire quoi avec… un balai/un marteau/etc. ? » Les enfants devront inscrire une proposition tant pour l’homme que pour la femme. Il est intéressant de constater si les réponses sont totalement différentes ou communes aux sexes.

  • « Normal » / « Pas normal » ?

Proposer des publicités stéréotypées et non-stéréotypées aux enfants (images fixes ou vidéos) et leur demander de les classer en deux colonnes : normal/pas normal. Il est intéressant de présenter des publicités où les stéréotypes sont extrêmement flagrants.

Remarque : toutes les publicités ne sont pas à montrer (publicités à caractère sexuel), mais le champ de la publicité est assez vaste et varié que pour en trouver.

  • Classement d’idées

Proposer deux personnages (homme et femme) ainsi que des étiquettes où des termes tels que les voitures, la mode, la vaisselle, etc. seraient inscrits. Il s’agirait de placer ces étiquettes, soit du côté de la femme, soit du côté de l’homme ou entre les deux.

  • Comparons…

Proposer plusieurs duos de publicités aux enfants avec deux variantes : une où c’est une femme qui est représentée, l’autre où c’est un homme. Les enfants devront faire une brève comparaison entre chaque duo : que voient-ils ? Quels sont les points communs ? Quelles sont les différences ?

Les ateliers permettraient de mettre en évidence des normes sociétales auxquelles les enfants seraient déjà assujettis (ou non). Dès lors, pour les trois premiers ateliers, on part de leurs propres représentations. Pour l’atelier n°4, il s’agit d’une brève analyse d’observation, adaptée à l’âge des enfants.

Etape 2 : Débattre autour des ateliers

Une fois que les enfants sont passés par les quatre ateliers, il est primordial d’avoir un retour réflexif avec eux. Il est intéressant de partir de leurs réponses, de leurs interrogations, de leurs propres représentations afin qu’ils prennent conscience des normes sociétales auxquelles ils sont confrontés ou, au contraire, auxquelles ils se refusent. Voici quelques pistes qui nous pouvons envisager pour le retour de chaque atelier :

  • Qui peut faire quoi avec… ? : Les utilisations sont-elles les mêmes ? Oui, non, pourquoi ? Sur base de quelles constations avez-vous suggéré cela ?
  • « Normal » / « Pas normal » ? : Quels sont les éléments de la publicité qui suggèrent sa « normalité » ou « anormalité » ? Pourquoi ? Y a-t-il quelque chose de choquant dans la manière de représenter l’homme/la femme ?
  • Classement d’idées : Les objets/idées/sentiments sont généralement typiques d’un genre ? Ou, au contraire, peuvent correspondre aux deux ? Avez-vous des exemples, des contre-exemples ? Sur base de quoi avez-vous choisi de l’attribuer uniquement à la femme/à l’homme/aux deux ?
  • Comparons : Quelles sont les ressemblances ? Quelles sont les différences ? A votre avis, pourquoi ? Êtes-vous d’accord ? Que pourrions-nous faire pour « lutter » contre cela ?

Il est important lors du débat d’amener les notions de stéréotype, de représentation, de cliché et, éventuellement de sexisme avec les enfants. Lors du débat, nous pensons qu’il faut faire preuve d’impartialité engagée, c’est-à-dire exprimer son point de vue tout en encourageant la confrontation des points de vue divergents (éventuels) des enfants

Activité n°2

Il s’agit de mettre l’enfant en position d’acteur autonome et responsable en lui proposant de réaliser une publicité personnelle (ou par petits groupes) qui va à l’encontre des normes sociales.

Etape 1 : Proposer un corpus de magazines.

Etape 2 : Découper des éléments divers et variés se trouvant dans les magazines.

Etape 3 : Assembler les éléments récoltés pour construire une publicité en prenant le contre-pied des publicités stéréotypées.

Etape 4 : Présenter la publicité en expliquant son intention.

La dernière étape est très importante puisqu’il est possible de vouloir faire passer un message sans pour autant s’en faire comprendre. De plus, outre l’explication de son intention, il est intéressant de proposer un retour réflexif sur les productions des enfants.

Conclusion et limites du travail

Pour conclure, nous allons aborder les limites de ce travail et apporter un retour praxéologique concernant notre approche et pratique éducative.

Tout d’abord, même si des notions évidentes telles que le déterminisme, l’essentialisme, le dogmatisme, la normativité… sont démontrées à travers la vidéo Pop Modèles et perçues dans nombre de publicités, en général, il est évident que notre travail n’est pas neutre au sens de « non-engagé ». Nous revendiquant comme féministe, nous tentons d’analyser ce phénomène médiatique le plus objectivement possible, mais il est certain qu’en souhaitant expliciter des faits, nous sélectionnons une partie de la réalité et la regardons à travers un angle et des perspectives spécifiques. De plus, nous sommes parfois normatifs dans certains propos en employant les termes : « il devrait », « il faudrait », « il faut », etc.

Cependant, dans la pratique, cette absence de neutralité peut être intéressante par le fait qu’elle fait appel au perspectivisme ou encore à la dialectique. En admettant que nous avons notre propre avis, cela suggère que d’autres aient également le leur. Dès lors, il serait intéressant de multiplier les points de vue afin d’avoir une meilleure compréhension du monde. Il faut, parfois, changer de paires de lunettes afin de mieux comprendre la réalité.

Ensuite, nous avons choisi de parler de la vidéo Pop Modèles et, étant donné que le phénomène dont elle parle est vaste, nous ne nous centrons peut-être pas assez sur celle-ci. Nous prenons plutôt le parti de nous appuyer sur elle afin de l’étayer avec de nouveaux exemples à analyser plutôt que de réaliser une analyse à proprement parler de la vidéo en tant que telle.

Par après, nous sommes conscients que, même si nous présentons ce phénomène comme étant très archaïque, il subit des évolutions et des changements petit à petit, avec notamment la volonté d’abolir ou de renverser les stéréotypes (ex. mouvements féministes), de réguler les publicités (ex. JEP, CSA, etc), de proposer des activités de sensibilisation (ex. asbl, éducateurs aux médias, enseignement, etc.). Le changement n’est pas encore évident, mais cela laisse espérer une évolution positive de notre société.

Néanmoins, nous pensons qu’il ne faudrait pas que, dans les années à venir, les publicités (ou notre rapport à leur égard) deviennent trop « lisses », sans signification ou possibilité de débat. Nous trouvons qu’il est important qu’elles continuent à poser question, dans une certaine mesure. En tant qu’éducateurs aux médias, nous considérons qu’il est essentiel de développer un regard critique et analytique concernant les médias, de manière générale. Si nous n’avons plus l’occasion de débattre, de remettre les choses en question, de se remettre en question, de s’interroger, de partager d’autres points de vue, et donc de ne plus faire appel au pluralisme et au perspectivisme, nous pourrions vivre dans une société aliénante. Ainsi, une approche qui nous semble fondamentale en éducation aux médias est le fait d’exercer son jugement moral. Si tout est « préformaté » pour éviter le débat et les controverses, notamment par une forte régulation, il y a un « risque éminent » au sens de Stengers (Lecomte, 2018) : celui de vivre dans une société où tout est pensé à notre place.

Enfin, cette analyse et cette conception pédagogique nous permettent d’aiguiser notre regard sur les médias publicitaires. Cela nous fait prendre conscience qu’ils ont un impact sur nous, sur notre schéma corporel, nos attitudes et comportements. Par l’analyse d’un corpus de publicités, nous remarquons qu’une série d’éléments sont à prendre en considération : l’image, les couleurs, les mots, les positions, les objets, etc. Tout cela crée une relation particulière avec un récepteur particulier (background, paramètres socio-affectifs, etc.). Ces différents éléments mettent en exergue les nombreux aspects auxquels il faut prêter attention avant de réaliser une activité pédagogique.

Ainsi, nous réalisons que nous pouvons étudier et analyser les phénomènes médiatiques sous leurs aspects philosophique, politique et éthique. Cela nous permet de prendre conscience des enjeux auxquels l’éducateur aux médias doit prêter attention et doit faire face.

2 commentaires

  1. Commentaire de Julien Lecomte : le parti pris visant à « augmenter le champ d’action humaine » invite à postuler la liberté pour chacune et chacun de se définir soi-même, notamment. Cela renvoie aussi à la différence entre « être » et « devoir-être ». La nature (i. e. le sexe biologique) ne dit rien en tant que telle de ce qui devrait être (les comportements « bons » ou « mauvais » en soi), et ce n’est pas parce qu’une chose a toujours été considérée comme une loi qu’il faut continuer à la considérer en tant que telle

  2. Bibliographie sélective

    Brulé, G., Bruna, M. G., Naves, M.-C., & Zegaï, M. (2014). Des stéréotypes dans le marketing et la publicité : essai de déconstruction. Le cercle de la Licra, réfléchir les droits de l’homme. Paris.

    Campion, B. (2017-2018). Analyse des langages médiatiques. Bruxelles : Institut des Hautes Ecoles des communications sociales.

    Comité économique et social européen (2003). Définitions, concepts et exemples.

    CSEM (2013, mai 22). Définition « Education aux Médias ».

    Dufossé, L., Gautier, L., & Rébillon, M. (2013). La représentation de la femme à travers la publicité.

    HabiloMédias (2016). Parler de la publicité avec les jeunes.

    Ipperciel, D. (1997). Théorie des préjugés selon Descartes et Gadamer. Horizons philosophiques, 7 (2). Collège Edouard-Montpetit, Éd.

    JEP (s.d.). Conseil de la Publicité.

    Le Cortecs (2011, juin 08). Décortiqué : campagne publictaire « l’éducation nationale recrute ».

    Lecomte, J. (2018). Médias, philosphie et citoyenneté. Philosophie des médias et de l’éducation aux médias.

    Lecomte, J. (2018, octobre 23). Une méthode d’analyse de contenu basée sur la philosophie : l’analyse des présupposés épistémologiques et éthiques. Philosophie, médias et société.

    Média Animation (2017). Les stéréotypes de genre dans la publicité. Pop Modèles.

    Moscovici, S. (1961). La Psychanalyse, son image et son public. Paris : Presses Universitaires de France.

    Piette, J. (2007, janvier). Education « par les médias » ou « aux médias » ? Les Cahiers pédagogiques (449).

    Rateau, P., & Rouquette, M.-L. (1999). Introduction à l’étude des représentations sociales. Grenoble. P. U. Grenoble, Éd.

    Soulages, J.-C. (2004). Le genre en publicité, ou le culte des apparences. Sexe & Communication, Médiation & information(20), pp. 51-59.

    Verniers, P. (2009). Réguler, protéger ou éduquer ? Éducation aux médias : les controverses fécondes. Média Animation.

    Verniers, P. (2018). Médias, philosophie et citoyenneté. Bruxelles : Institut des Hautes Ecoles des communications sociales.

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