Analyse du phénomène médiatique « Pokémon Go »

Article rédigé par Marie Foti (LinkedIn) dans le cadre du cours Enjeux culturels contemporains des médias et de l’éducation aux médias, janvier 2017.

Dans cet article, nous nous concentrons sur les principales critiques négatives à l’égard de l’application Pokémon GO. D’abord, nous procédons à une analyse de ces critiques, illustrée avec des cas concrets. Ensuite, nous proposons une réflexion quant à notre propre rapport à cette application. Pour finir, nous envisageons une action éducative en lien avec la problématique étudiée.

Présentation du sujet

L’application ludique Pokémon GO, créée par la société The Pokémon Company et Niantic, s’est développée en Belgique en juillet 2016 sur les plateformes iOS et Android. L’intrigue s’inspire des anciens jeux et fictions Pokémon dans lesquels l’objectif du héros est de devenir le meilleur dresseur en attrapant le plus de Pokémon possible. Le but reste le même pour l’application, mais sa particularité se trouve dans ce que l’on appelle la « réalité augmentée ». Cette dimension existait déjà dans d’autres applications, mais connaissait relativement peu de succès. Le lancement de Pokémon GO a contribué à la découverte de ce concept à une échelle mondiale.

Rapidement, le jeu connaît un franc succès et est décrit comme un phénomène de société (cf. « Pourquoi nous parlons autant de Pokémon Go », juillet 2016). Or, en tant qu’éducateurs aux médias, nous savons que les nouveautés sont généralement accompagnées d’un discours de diabolisation.

Des rassemblements apparaissent sur les réseaux sociaux, des lieux mythiques deviennent bondés de gens, des groupes d’individus s’encourent pour attraper un Pokémon rare, de nombreuses personnes ont leurs yeux collés à leur smartphone en pleine rue, etc. Cet ensemble de (nouveaux) comportements suscitent la réflexion et engendrent de nombreuses critiques dans divers domaines.

Très vite, des images et déclarations de ce type se multiplient.

Analyse de diverses critiques à l’égard Pokémon GO

Dangers, risques, liberté et sécurité

La prédominance d’une approche « sécuritaire »

Le jeu demande aux joueurs de se déplacer dans les villes pour trouver des Pokémon. Lorsque ces derniers se rapprochent de l’un deux, le smartphone vibre et le joueur doit tenter de l’attraper. Cependant, les Pokémon peuvent se retrouver n’importe où, même en plein milieu d’une route. Le jeu commence donc à être accusé de mettre en danger les gens qui y jouent. Malheureusement, des personnes sont décédées suite à un manque d’attention à cause du jeu. Dès lors, les tensions ont monté pour un certain nombre d’individus et les peurs se sont multipliées. De ce fait, des caricatures, comme la première image illustrée ci-dessus, se développent et prennent place dans l’espace public.

Comme expliqué par Isabelle Stengers, le « danger » n’est pas conscient. Lorsqu’il le devient (suite à une éducation à son sujet, par exemple), il se transforme en « risque ». Ceci s’applique très bien au cas de Pokémon Go. Par exemple, nous avons vu apparaître des panneaux routiers sur lesquels il était écrit « Don’t Pokémon and Drive ». Les autorités publiques ont donc pris conscience du risque de l’utilisation de l’application en roulant et l’ont communiqué à travers ce message à tendance normative.

Pour continuer sur cette notion de danger, nous remarquons que l’application a tenté de se décharger de toutes responsabilités en affichant le message « Ne joue jamais à Pokémon GO en conduisant » lors de l’ouverture de l’application. Nous pouvons faire le lien avec un point des Controverses fécondes en éducation aux médias. En effet, les industries médiatiques tentent de faire de l’éducation notamment dans le but de ne pas être régulées de manière invasive par les autorités. Les représentants de l’application prennent donc conscience qu’il existe un risque, mais tentent de s’en décharger à travers un message « éducatif ».

Pour revenir aux propos d’Isabelle Stengers, nous faisons un parallèle avec ce qu’elle appelle « la société du risque ». En effet, elle explique que notre société a tendance à évaluer une action selon le risque qu’elle comporte. Or, le risque est parfois nécessaire à l’éducation. Les individus tentent de créer une société avec un « idéal de non-risque » pour leurs enfants. Néanmoins, le jour où ces derniers devront faire face à un vrai danger, ils risquent de ne pas s’en sortir étant donné qu’ils n’auront jamais été confrontés ou éduqués à cela.

Concernant Pokémon GO, nous pouvons dire qu’au niveau de la sécurité routière, les campagnes de prévention restent très semblables à la sensibilisation de l’utilisation du smartphone en général : ne pas téléphoner ou envoyer des messages au volant, regarder à gauche et à droite avant de traverser, etc.

À travers ces différentes règles, nous pouvons faire un lien avec le concept d’autonomie et la tension entre liberté et sécurité [cf. Présupposés moraux en éducation et en journalisme]. L’autonomie se caractérise par la volonté d’agir selon ses propres lois, cependant la société tente de nous conseiller sur le choix de ces lois.

En quelque sorte, elle nous laisse libres de jouer à Pokémon GO, mais nous rappelle quand même qu’il faut éviter de jouer en roulant. Pouvons-nous donc parler encore d’autonomie et de liberté dans ce cas-ci ? Il nous semble acceptable de laisser la liberté aux êtres humains d’utiliser leur smartphone ou non en roulant et d’être responsable de leurs actes. L’autonomie est le fait de se donner soi-même ses propres règles : on pourrait alors faire confiance à la faculté de chacun d’agir de manière responsable. Néanmoins, l’usage du smartphone au volant peut mettre en danger la vie d’autrui. Nous pouvons dire qu’il est presque impossible de vivre en société sans règles communes à partir du moment où nos actes provoquent un impact sur autrui (cf. aussi la notion de « politeia », qui désigne le mode d’organisation d’une société, l’une des dimensions du concept de « politique »). Il s’agit d’une optique conséquentialiste, qui évalue les comportements en fonction de leurs conséquences, et non « parce que c’est la règle » (déontologisme).

Monde réel et monde virtuel

Le modèle de « l’influence directe » des médias dans le sens commun

Beaucoup de discours dénoncent le risque de confondre le réel et le virtuel avec Pokémon GO et notamment la réalité augmentée qu’il met en place. Si nous nous référons à Platon, finalement, le monde tel que nous le percevons ne se limiterait qu’à des « simulacres » car le réel ne se retrouve qu’à travers les « Idées ». Nous vivons ainsi dans un monde virtuel rempli de copies du réel. De ce point de vue, nous pouvons dire que la sensation de confusion entre le monde physique et le monde numérique n’est pas fondée : ils sont tous les deux des mondes virtuels.

> [Note de Julien Lecomte] Lire aussi : Stéphane Vial : « Il n’y a pas de différence entre le réel et le virtuel » (2016).

Il semble intéressant de se pencher sur la définition actuelle de la notion « monde virtuel ». Selon Wikipédia, il est défini comme « un monde créé artificiellement par un logiciel informatique et pouvant héberger une communauté d’utilisateurs présents sous forme d’avatars ayant la capacité de s’y déplacer et d’y interagir ». À travers différents témoignages lus sur la toile, nous avons essayé de comprendre comment les utilisateurs percevaient et définissaient cette notion.

Pour discuter sur ce point, nous avons repris un extrait de témoignage intéressant de monsieur X., publié sur l’Obs en juillet 2016, concernant son utilisation de Pokémon GO :

« […] je me suis aperçu que mes centres d’intérêt devenaient virtuels. Toutes actions réelles s’expliquaient par une raison virtuelle. Je devenais accroc [sic].

Un vendredi soir, alors que je n’avais rien à faire, j’ai regretté le fait de ne pas pouvoir y jouer dans mon canapé comme c’était le cas avec les jeux sur console. Je souhaitais rejoindre une arène pour faire combattre mes Pokémon et ça tombait plutôt bien puisqu’une arène se trouvait à 20 mètres de chez moi. Mais ces quelques mètres m’empêchaient d’accéder à l’arène. Je me suis donc rhabillé pour rejoindre l’arène qui se trouvait dans la rue. Il était une heure du matin. Cette action que je trouvais totalement absurde m’a poussé à supprimer l’application.

Le lendemain de cette expérience, je suis sorti pour profiter du beau temps, et surtout, sans avoir les yeux rivés sur mon écran de téléphone. Je suis justement tombé sur un joueur qui devait chercher des Pokémons dans la rue (dans certaines de mes phrases, ces deux mondes se confondent au point de ne former qu’une seule « dimension »). En observant ce joueur, il était plus facile pour moi de me rendre compte du danger de cette application : il se déplaçait dans la rue avec, comme unique but, une quête virtuelle. Il n’était plus attentif aux dangers extérieurs et à son environnement réel ».

Nous comprenons en lisant cet extrait qu’il définit plutôt le mot « virtuel » comme étant quelque chose qu’il vit à travers son écran. Il considère le monde de manière dualiste : d’un côté nous avons le monde réel dans lequel il vit, et de l’autre le monde virtuel, les yeux rivés sur son écran de téléphone.

Il est intéressant de voir à travers ce texte à quel point il considère l’usage de l’application comme quelque chose de mauvais. Le mot grec « pharmakon » était utilisé entre autres par Platon tantôt comme désignant un « poison » et tantôt un « remède ». Le joueur, ici, ne reprend que l’une des parties de cette notion, le côté « poison » du média. En effet, il remet la faute à Pokémon GO (« danger de cette application ») de l’avoir poussé à agir comme il l’a fait. En tant que tel, il se déclare comme n’étant pas vraiment responsable de ses actes. Selon lui, l’application l’empêche de s’émanciper dans la vie réelle, lui empêche d’être « normal » dans le sens où il considère ses actes comme étant absurdes.

Les propos de monsieur X. semblent être le reflet d’une approche « behavioriste » de l’influence des médias. Face à ceux-ci, la solution serait de stopper sa consommation (ce que fait l’auteur), pour se « protéger » de leur influence. Aussi, nous retrouvons le modèle de l’influence directe dénonçant les pouvoirs manipulateurs des médias. Monsieur X. considère que les médias nous montrent une image biaisée de la réalité, nous empêchent de la voir, notamment dans la dernière phrase de l’extrait : « Il n’était plus attentif aux dangers extérieurs et à son environnement réel ». Nous comprenons à travers cette phrase que l’auteur dénonce le fait que les médias nous empêchent de prendre du recul face à ce que nous faisons, ils nous manipulent et nous font oublier le monde réel. Ce ne seraient que des simulacres.

Ce modèle de l’influence directe, nous l’apercevons aussi sur l’image « Control » de P. Kuczynski. Elle représente Pikachu, posé comme un cavalier sur son cheval, donnant l’ordre de le suivre partout où il le désire. Il y a l’idée que le jeu serait un vecteur d’aliénation, d’abrutissement des masses. Un message encore très semblable au précédent : nous sommes manipulés et complétement passifs face aux médias, ils nous mènent où ils veulent.

Le non-sens du jeu

Une idéologie moniste qui ne prend pas en compte les perspectives des usagers

Beaucoup d’images et de commentaires témoignent de « l’absurdité » de Pokémon GO et des gens qui y jouent. Nous le constatons à travers les illustrations proposées plus haut mais aussi dans le propos de monsieur X. Ci-dessous, vous retrouvez un commentaire de D. C. (anonymisé par nos soins), publié en réponse à un article du journal Le Soir à ce sujet.

DC2-PokemonGo

Via l’ensemble de ces exemples, un propos majeur ressort : jouer à Pokémon GO est quelque chose d’absurde. Il semble insensé de sortir avec son smartphone, se rassembler et jouer les yeux rivés sur l’application. Toutes ces affirmations représentent une frange de la société qui diabolise les médias ou qui est nostalgique du temps où ces technologies n’existaient pas. Il s’agit d’une perspective privilégiée lorsqu’il est question de « nouvelles » technologies. Cela ne reflète qu’un seul point de vue, réactionnaire.

Cette réalité se retrouve clairement dans le tweet de @marcais_olive, disant que les gens d’aujourd’hui devraient lire des bouquins plutôt que de jouer à Pokémon GO qui ne fait que les abrutir davantage. Nous nous situons dans du monisme, au sens où un seul type de réalité (l’abrutissement supposé et les risques qui y sont liés) est pris en compte pour comprendre le phénomène.

Nous présupposons que, dans cette optique, l’auteur de ce tweet considère que les bouquins représentent les recueils du savoir et de la sagesse. Nous faisons de nouveau face à un discours normatif, moral (« il faudrait »), où l’on dit aux individus qu’il faut lire des livres et ne pas jouer à Pokémon GO, que c’est « préférable », que c’est « mieux ».

Pour D. C., il est préférable de faire une promenade dans les Fagnes avec un guide nature que de se promener avec son smartphone, en disant que ce n’est pas la « vraie » vie (comme si les deux étaient incompatibles, ou que l’un empêchait l’autre une fois pour toutes, et comme si Pokémon Go nous « obligeait » tous à agir de la même manière). Monsieur X. affirme qu’il est totalement absurde de sortir tard le soir pour jouer à Pokémon GO. En disant cela, ils témoignent d’une vision morale de ce que la réalité « devrait être ». Ces présupposés moraux peuvent être vus comme du déontologisme et du dogmatisme, étant donné que pour eux, cela semble évident que « cela devrait être comme ceci et non comme cela », « parce que c’est comme cela ».

Une autre notion qui peut être abordée est celle de l’idéologie. Le CNRTL définit l’idéologie comme un « ensemble de croyances, de doctrines diverses, d’idées plus ou moins cohérentes qui sont propres à une époque, une société, une classe et qui orientent l’action ». Il existe une idéologie réactionnaire selon laquelle les jeunes sont accros aux smartphones, ils ne lisent plus de livres, ils ne sortent plus, ils ne différencient plus le monde virtuel du monde réel, etc. Dans les deux commentaires repris plus haut, nous distinguons clairement cette idéologie car elle n’est pas argumentée et semble être une évidence. Elle oriente leur action et leurs discours sans que ceux-ci aient même conscience qu’il s’agit d’une idéologie. Nous considérons qu’elle est simplement ancrée dans leur tête telle une loi. Ils n’expliquent pas clairement pourquoi c’est « mieux » de faire « comme avant ». La métaphore utilisée par D. C., qui est d’ailleurs remplie de préjugés, représente clairement cette idéologie.

Nous pouvons dire ici que la présence de préjugés se rapporte plutôt à l’approche de Bachelard. Pour lui, cela représente un obstacle au jugement (le « sens commun » s’oppose à la science. Pour Bachelard, il faut abandonner ses préjugés pour entrer en science). Dans son commentaire, D. C. évoque des préjugés à la fois culturels, sociaux et économiques. Il fait le parallèle entre un repas gastronomique qu’il met en relation avec une personne issue d’un niveau socio-culturel élevé et entre un fast-food avec une personne d’un niveau socio-culturel faible. Nous devrions donc comprendre que les gens qui jouent à Pokémon GO sont de nature à manger des fast-foods et dès lors, appartiennent à un niveau socio-culturel faible, synonyme d’une « médiocrité » choisie. De premier abord, ce monsieur a l’air d’avoir un avis bien tranché sur le sujet. Pour cette raison, le préjugé semble être un obstacle au jugement. Afin d’ouvrir le dialogue avec cette personne ou pour enrichir les représentations mentales d’un apprenant, et pour prendre en compte l’approche de Gadamer à propos des préjugés (condition de possibilité du jugement), il semble intéressant de se demander comment partir de ce préjugé pour construire une connaissance plus riche. Comment le prendre en compte tout en l’amenant à envisager d’autres points de vue ? Comment lui permettre de comprendre que la réalité est plus complexe et nuancée que ce qu’il prétend décrire ?

Une notion qui pourrait être abordée dans notre démarche de compréhension de cette critique est celle du « gameplay » (Bonvoisin, D., Geeroms, C., Analyse socio-éducative du jeu vidéo, syllabus non publié, IHECS, 2016). Ce terme englobe deux concepts : le « game » qui se réfère à l’objet et à ses règles (exemple : des cartes à jouer) et le « play » qui fait référence à l’activité que l’on exerce à travers le jeu.

> [Note de Julien Lecomte] le « play » et le « game » peuvent également faire référence à des caractéristiques intrinsèques de jeux, plutôt « libres » (« play »), par exemple « cow-boys et indiens », ou « régulés » (« game »), par exemple les échecs. On retrouve cette délimitation chez Winicott (1975), notamment. D. Bonvoisin et C. Geeroms utilisent plus volontiers les notions de « paidia » et de « ludus » pour parler de jeu libre et jeu structuré (lire un article à propos de R. Caillois à ce sujet). Lire aussi : Game studies ou études du play ?

Dans ce point, nous abordons la notion du second degré pratiqué dans le jeu et, pour ce faire, nous relevons la différence entre « ce qu’on dit qu’on fait » et « ce que l’on fait vraiment ». En ce qui concerne Pokémon GO, les joueurs sont invités à se considérer comme des dresseurs qui sont à la recherche de Pokémon et qui s’affrontent dans des arènes pour en chasser d’autres. Par ailleurs, ce qu’ils font vraiment se résume à glisser leur doigt sur leurs écrans, marcher les yeux rivés sur leur smartphone ou encore courir après quelque chose d’invisible à l’œil nu. Nous pourrions en déduire que, pour les différents jugements évoqués plus haut, les individus ont tendance à ne voir que la deuxième partie de l’explication, ce qui « justifie » leur réaction. Si les spectateurs ne peuvent y ajouter un second degré, tout type de jeu perd son sens. Nous pensons par exemple à un match de football qui ne serait défini que comme « des individus qui courent après une balle ».

Une dernière critique qui illustre l’incompréhension de nombreux « spectateurs » à l’égard des joueurs est celle de G. F. (anonymisé par nos soins). Ce dernier a réagi quant aux remarques adressées au comédien et humoriste Michaël Youn qui avait précédemment critiqué le jeu sur Twitter : « Le monde part en sucette et nous, pendant ce temps-là… on chasse des Pokémon ! ».

Plusieurs personnes avaient alors reproché son manque de crédibilité à l’humoriste, étant donné qu’il venait récemment d’avoir des ennuis judiciaires pour avoir jeté un fumigène sur le stade de France. Dès lors, monsieur F. a commenté : « je préfère encore un hoolingan [sic] à un zombie » (source).

GF2-PokemonGo

De ce fait, il compare les joueurs de Pokémon Go à des zombies, comparaison assez semblable à l’illustration « Control » de P. Kuczynski. Nous sommes encore dans une posture morale déontologiste qui met l’accent sur les aliénations. La posture de l’usager passif est également remise en avant avec le terme de zombie.

L’auteur de ce propos exprime qu’il préfère une personne qui a recours à la violence plutôt qu’une personne passive. En termes d’éthique, ce commentaire pose question mais il s’agit d’un autre débat. En effet, sur quels critères moraux se base-t-il pour affirmer cela ? Il est possible de juger l’application en fonction du plaisir qu’elle suscite ou pas, des interactions qu’elle génère ou amoindrit, des compétences cognitives auxquelles elle fait appel ou non, etc.

Retour réflexif

Pour ce travail, j’ai choisi de procéder, en majorité, à partir des représentations d’un public plutôt que de représentations véhiculées dans des articles journalistiques (journal télévisé, article de presse, billet radio, etc.).

Sur les médias sociaux, l’opinion de tout un chacun peut être considérée ou critiquée. Le commentaire de monsieur X à l’égard d’un article devient parfois plus important que l’article lui-même (cf. le concept de « critique spectaculaire du spectacle » d’Aubenas et Benasayag).

De plus, en tant que future éducatrice aux médias, il me paraît judicieux de m’intéresser à l’opinion des publics auxquels je m’adresse pour construire un dispositif éducatif cohérent. En effet, le rôle d’un éducateur aux médias est de donner des clés de compréhension du monde médiatique et non de faire l’apologie de son opinion. Il doit tenter d’être impartial afin de montrer la pertinence des différentes perspectives (perspectivisme non relativiste). De ce fait, pour moi, il est essentiel d’aborder et d’analyser l’ensemble des opinions.

En agissant de cette manière, je me réfère à une approche socioculturelle des médias, en m’attardant notamment sur l’aspect social de ceux-ci et en considérant que « la culture médiatique est une manifestation de rapports qui s’établissent entre les individus » (Verniers, P., Enjeux culturels contemporains des médias et de l’éducation aux médias (syllabus non plublié), IHECS, 2016). Par ce choix, j’ai tâché de nuancer la représentation du jeu comme ayant une influence directe sur les individus. Les usages et opinions à l’égard d’une technologie sont multiples et dépendent des usagers et de leurs prédispositions socioculturelles.

En somme, au sein des publics, il y a plusieurs points de vue (« perspectives ») à l’égard du jeu. Toutes celles-ci sont plus ou moins « sensées ». Toutefois, certaines prennent plus de place que d’autres dans l’espace public. Les discours autour du jeu sont généralement teintés d’une seule perspective (monisme), sécuritaire, anxiogène, qui accuse le média d’aliénation/poison en ne prenant pas en compte (notamment) le sens donné par certains usagers du jeu, ou encore le plaisir que d’autres y prennent. Notre dispositif pédagogique s’inscrit dans le cadre de ce constat.

Action pédagogique en éducation aux médias

À travers cette analyse, nous constatons un phénomène de « diabolisation » du jeu Pokémon GO suite aux variances de comportements qu’il a engendré.

L’objectif de l’action pédagogique envisagée vise à faire prendre conscience au public que la responsabilité d’un acte ne s’évalue pas tant à travers le dispositif (le jeu) qu’à travers les comportements de la personne qui l’utilise. Nous voudrions informer à propos de la nécessité de prendre du recul sur l’usage et non tant l’outil.

> [Note de Julien Lecomte] Il reste opportun de se demander dans quelle mesure les « règles du jeu » façonnent ou non les usages (cf. cette petite expérience de pensée). Comme le suggère Marie Foti, le problème tient ici au fait que les pratiques de jeu sont absentes des regards portés sur l’application, au détriment d’un jugement moral préétabli. L’approche est alors biaisée. Lire aussi : Les apprentis sorciers de l’éducation aux médias III : violence, sexe et surveillance. Des partis pris réactionnaires (2012)

Les apprentis sorciers de l’éducation aux médias (3) : des pratiques (suite)

Pour cette activité, nous avons décidé de transformer le smartphone en support papier. Nous vous conseillons de consulter la fiche d’activité ci-dessous avant de lire les lignes qui suivent.

Nous avons tenté de créer une scénarisation similaire à celle présentée dans Pokémon GO avec une prise de décision semblable. Le joueur devra opérer des choix et dans certains cas, ceux-ci comportent des « risques ». L’animateur précise au préalable qu’il est déchargé de toute responsabilité en cas d’incident.

Par exemple, le joueur peut utiliser sa voiture pour aller plus vite. Il se peut que, durant le trajet, il consulte la carte pour retrouver le repère et manque d’attention à la route.

Il peut aussi tenter d’attraper un objet difficile d’accès quitte à prendre le risque de se blesser.

Le jeu laisse la possibilité d’opérer un autre choix grâce au dessin ou à la brève description du lieu, néanmoins ce choix vaut moins de points. Il semble intéressant ici de faire le parallèle avec un joueur de Pokémon GO qui décide de ne pas aller capturer le Pokémon suite aux risques que cela comporte et donc de ne pas augmenter son niveau.

À travers cette technique, nous voulions que les personnes se rendent compte du plaisir et l’engouement qu’un jeu peut susciter pour faire le parallèle avec la connotation d’absurdité attribuée à l’application Pokémon GO. Nous désirons aussi montrer qu’il n’en est pas de la responsabilité de l’application ou du smartphone de mettre les personnes en danger, mais bien des actes qu’ils décident eux-mêmes de poser. Dans ce cas, nous pourrions aussi dire que la carte les met en danger en pensant de cette manière.

L’ensemble de ces points devra être abordé lors d’un débat pour permettre aux personnes qui ont participé à l’activité d’avoir un retour réflexif sur leur propre pratique et leur propre avis concernant Pokémon GO.

Fiche d’activité

Public

Ce jeu peut être accessible à partir de 18 ans. Les personnes doivent pouvoir se déplacer en rue (tout type de transport est autorisé).

Exemples d’encadrements

Cette activité peut prendre place lors d’une séance d’information pour les parents ou d’une activité organisée par une ASBL dans une école supérieure, par exemple.

Matériel

  • Une carte de la ville avec des points de repères
  • Des feuilles blanches
  • Un crayon ou un bic
  • Un sac en plastique

Déroulement

En amont, l’animateur doit veiller à connaître le lieu de l’activité et à y cacher des objets au préalable. Chaque objet doit être différent en fonction de la cachette. L’animateur veille à cacher plusieurs objets identiques dans la même cachette. Il fait en sorte que certains de ces objets soient difficiles d’accès et dès lors, demandent une certaine attention du joueur (exemples : une pente glissante, un rond-point, en haut d’un arbre, etc.).

Sur base d’une carte de la ville, il indique des points de repère où sont cachés ces objets. À côté de chacun de ces repères, il inscrit le nombre de points attribués à l’objet. Ce nombre ne dépend pas de la complexité à attraper l’objet.

Règles

  • Le joueur dispose d’une heure pour récolter le plus de points possible.
  • Ce jeu se joue individuellement.
  • Le joueur peut récolter des points de deux manières différentes : soit il récupère l’objet trouvé (il ne peut pas comptabiliser deux objets identiques), soit il dessine ou décrit l’endroit où se trouve l’objet (le nom de la rue, les couleurs, les alentours de l’objet, la cachette en son ensemble).
  • Si le joueur obtient l’objet caché, il comptabilise le nombre de points indiqués sur la carte, s’il ne peut accéder à l’objet, il reçoit deux points en moins que le nombre indiqué sur la carte.

En aval, l’animateur prévoit un temps de débat sur les difficultés rencontrées durant l’exercice et sur les liens que l’on peut faire avec l’application Pokémon GO. Avec de jeunes adultes, il semble intéressant de mobiliser des aspects théoriques (play-game, approche behavioriste / approche des usages, etc.) pour montrer que les points de vue ne « s’opposent » pas, mais qu’ils offrent chacun à voir des parties spécifiques de la réalité (perspectivisme).

Conclusion

La plupart des comportements étudiés dans ce travail mais aussi aperçus lors des recherches représentent une approche très réfractaire face aux nouvelles technologies. L’arrivée de nouveaux médias crée une angoisse chez de nombreux individus. Celle-ci est la source de biais et pourrait à notre avis être mieux prise en charge si l’éducation aux médias avait davantage sa place dans la société.

Le discours diabolisant à l’égard de Pokémon GO reste très semblable aux anciens discours prononcés dès le lancement d’un nouveau média avec les remarques habituelles : le danger pour les jeunes, le changement de comportement, la perte du lien social, le lavage de cerveau, etc.

[« La discipline a, en grande partie, disparu » et autres propos réactionnaires, dans la vidéo « Pompidou sur la révolte de la jeunesse universitaire et le PCF », INA.fr, 1968]

Pour conclure, nous comprenons que les phénomènes médiatiques, en général, peuvent être étudiés sous leur aspect philosophique et politique pour mieux cibler les enjeux auxquels se rapporte le phénomène, mais aussi auxquels nous devons faire face en tant qu’éducateurs aux médias.