Chroniques inédites (varia)

Je recense ici quelques chroniques « secondaires » qui sortent un peu de ma ligne éditoriale classique, soit au niveau du fond, soit au niveau de la forme. Initialement, ces articles n’étaient pas publiés sur Philomedia.be.

Sommaire

Nature, culture, genre, sexualité et normes sociales (2013)

Extraits d’un échange entre moi-même et deux autres intervenants (x et y) à propos des liens entre ce qui est “naturel” ou “culturel” et en quoi cela doit ou non influencer nos règles sociales (notamment en ce qui concerne la sexualité et les genres).

Des intertitres ont été ajoutés.

Intervenant x :

[…] A la base c’est le biologique qui nous fonde, et le biologique impose des règles plus ou moins transgressives: manger, respirer, boire, dormir, forniquer.

Dans ce raisonnement, il y a un glissement entre l’état de fait et la norme morale. On ne peut pas vraiment parler de règles, dans l’état naturel. Pour survivre, il est nécessaire de manger. Note qu’avec les progrès techniques, pour se reproduire, il n’est pas nécessaire de passer à l’acte sexuel. Par ailleurs, s’il est question de survie de l’espèce, tous les êtres humains ne sont pas obligés de tous se reproduire. Pense à certains animaux dont seuls quelques représentants ont cette fonction. Il faut sortir de la “fixité fonctionnelle” et ne pas confondre les potentialités naturelles avec les rôles que l’on se donne.

Nature et culture, sexe et genre

Si tu prends Lévi Strauss, il pensait que le seul véritable interdit universel fondateur des sociétés, c’était l’interdit de l’inceste. Or, même ça ça a été remis en cause. En réalité, les comportements homosexuels, les personnes qui ne veulent pas d’enfants, les adoptions ou autres ne compromettent en rien la survie de l’espèce. On pourrait d’ailleurs se demander avec les théories d’obédience Malthusienne si à un moment donné la reproduction n’est pas un danger pour l’espèce humaine, si elle ne venait pas à se stabiliser comme le voudraient certaines courbes démographiques.

Intervenant x :

Je trouve que le coté malhonnête de la théorie des genres, c’est de camoufler son but en “égalité” des individus, alors qu’en fait c’est la “liberté” sexuelle complète pour les individus, et genre ça rendra les gens égaux.

Là, je pense que tu fais erreur. Le problème de certaines féministes (il y a plusieurs courants) est qu’elles utilisent le mot “égalité” sans distinction, ce qui prête à confusion. En réalité, il n’est évidemment pas question de nier certaines différences biologiques. C’est comme dans le slogan “liberté, égalité, fraternité” : il n’a de sens qu’en tant qu’égalité des chances (ou en droits) et/ou en tant que liberté de se définir soi-même, “toutes choses étant égales par ailleurs”.

Intervenant y a dit que la théorie des genres n’est pas une théorie, je le paraphrase. Il s’agit d’un courant d’études. Il est question d’étudier les constructions sociales, et non de dire que tout n’est que construction sociale. La question du biologique est secondaire justement dans la mesure où elle ne dit en réalité rien du comment il faudrait se comporter.

Je rejoins en ce sens ce que intervenant y dit ici en moins développé :

Ne jamais laisser le donné dire ce qu’on doit faire

Dans ta vision des choses, le donné influence d’office l’action humaine, alors qu’en réalité de nombreuses alternatives sont possibles (et adviennent effectivement sans toutefois compromettre l’existence humaine). De même, le social ne tente pas d’influencer le biologique, mais tâche d’ouvrir le champ des possibles “en dépit de” cette composante donnée. Se donne-t-on des “procréateurs” qui ont pour rôle de maintenir l’espèce, tandis que d’autres vivent d’abstinence? Vit-on en polygamie ou en monogamie? Impose-t-on l’hétérosexualité à tous les individus? Cloisonne-t-on les femmes à des rôles moins physiques? Tout cela, c’est des questions de règles, et donc des questions sociales. Et aucune réponse que tu puisses y donner (même celles qui peuvent te sembler “contre-nature”) ne compromettent la survie de l’espèce. C’est la raison pour laquelle il est plus intéressant de les laisser ouvertes ou d’y proposer une réponse qui privilégie la liberté de chacun…

Wikipédia :

Le genre est un concept utilisé en sciences sociales pour désigner les différences non biologiques entre les femmes et les hommes.

Il n’est pas question d’égalité, et le phénomène est délimité au non biologique.

Maintenant, on ne peut nier qu’il y a un courant “politique” issu des gender studies, comme pour de nombreuses sciences sociales. Quand tu déconstruis une catégorisation aliénante, qui réifie les genres dans des rôles ; quand tu te rends bien compte que ce sont justement des phénomènes sociaux, culturels, et non universels, tu te dis forcément “pourquoi ça devrait être comme ça et pas autrement?!”. A l’époque des 1ères études sur le genre féminin, forcément ça allait de pair avec le féminisme, qui est mal compris (et a parfois du mal lui-même à se conceptualiser) à cause du mot égalité qui veut en réalité dire “égalité des chances”, “droit égal de se définir soi-même” ou encore “équité”, tout simplement.

Par rapport à l’argument « c’est la nature », concrètement, les abeilles, mais aussi des tas de mammifères fonctionnent sur un mode qui est différent de “1 parent de chaque sexe”. Dans “nos” sociétés, le “noyau dur” de la famille est d’ailleurs de moins en moins ce qui prime dans l’éducation (crèches => d’autres femmes que la mère prennent en charge plusieurs gosses qui sont pas les leurs pendant la majeure partie de la journée, puis école…).

[edit] Des scientifiques issus de la biologie se sont clairement positionnés eux-mêmes par rapport à ce sujet :

Ils construisent leur discours sur une supposée différence essentielle entre hommes et femmes, qui viendrait fonder un “ordre naturel”. Ils appuient leurs idées sur des faits réels ou imaginaires, le plus souvent abusivement décontextualisés, extrapolés ou généralisés. En plus d’être naïve, une telle interprétation de la biologie est malhonnête et démagogique. Les connaissances scientifiques en biologie ne nous permettent en aucun cas de dégager un quelconque “ordre naturel ” en ce qui concerne les comportements hommes-femmes ou les orientations et les identités sexuelles.

La nature ne veut rien, elle est, tout simplement

Il n’y a pas longtemps, François Desmet a écrit ceci. En fait, la nature, elle n’a pas de moralité intrinsèque. Si des sociétés fonctionnent de telle ou telle manière, ce n’est pas pour autant que toutes le doivent (concrètement, il y a des traces d’existence de l’homosexualité dans toute société, il y a des sociétés polygames, il y en a d’autres où certains seulement peuvent se reproduire…).

C’est justement grâce à certains anthropologues ou personnes du courant dit des études de genre que l’on voit bien qu’il existe des tas d’organisations sociales différentes et que du coup celles qui nous paraissent évidentes ne sont en réalité que des normes / idéologies que l’on a intériorisées.

Pour l’argument “c’est la nature : obligé de faire comme ça, sinon tout fout l’camp”, il y a une différence entre dire que “si n’importe quel individu cesse de respirer suffisamment longtemps, il meurt”, et dire “si un certain nombre d’individus d’une espèce ne se reproduisent pas, cette espère pourrait disparaitre” (c’est vrai, dans une certaine mesure, mais ça n’implique pas tout individu, loin de là). Par ailleurs, comme le dit cet article du Monde, “il ne suffit pas de dire que quelque chose est biologique pour dire que c’est immuable. C’est l’exemple du cerveau humain : il évolue avec le temps, et de génération en génération”.

Au niveau biologique, on ne peut plus faire non plus sans les progrès de la génétique et autres. C’est peut-être se prendre pour des dieux, mais on a une liberté qui transcende de facto la donnée biologique : plus besoin de l’acte de copulation pour donner naissance à de nouveaux individus. Et la contraception alors! Quelle chose “contre-nature” par essence, dans ton système… De là à dire que c’est mal…

Intervenant x :

Pour les femmes, c’est pas une volonté politique, mais la réalité, si t’as 200 mecs qui postulent pour pompier, et seulement 5 femmes, bah de un t’aura surement une écrasante majorité de mec qui vont être embauché, et de deux, tu vas pas commencer à baisser tes critères sous prétexte que la loi va te forcer à faire de la mixité?

Pour le critère 2, tu as raison, et je ne pense pas qu’il en soit question.

Pour le premier, l’éducation mec, l’éducation. Pendant toute la vie, des femmes (et des hommes) entendent des discours comme le tien. Tout comme le gamin qui entend qu’il a “la bosse des maths” quand on dit à sa voisine que c’est “une littéraire”. Qu’il joue aux soldats pendant qu’elle joue aux Barbies. Qu’elle a des magazines exprès pour lui apprendre comment être une bonne amante et être une bonne cuisinière tout en restant belle et -quand même!- intelligente. Ben malgré ça, t’as quand même des femmes qui postulent pour être pompières, policières, ingénieures, mathématiciennes, physiciennes, et qui s’y débrouillent pas mal… Où est le problème ?

Je te cite l’article évoqué ci-dessus, par François Desmet :

La nature n’est ni bonne ni mauvaise ; elle est indifférente. Depuis Darwin, nous savons même qu’elle se déploie dans tous les sens selon des lois d’adaptation à un environnement, et que ce que nous avons sous nos yeux est le fruit d’une évolution millénaire et non d’une volonté résolue. Il est en de même pour tout ce que nous estimons homogène, figé et sûr. La nature n’a pas d’intention. Il faut donc oser renverser la perspective : où (diable) est-on allé chercher que le couple était une invention naturelle ? Où est-on allé chercher dans la nature que les couples devaient rester ensemble le temps d’élever un enfant ? Où est-on allé chercher qu’un enfant avait besoin d’un homme et d’une femme pour être élevé ? Et même, où est-on allé chercher le fait que la monogamie et la fidélité étaient naturelles ? Nulle part. Tout ce que la nature nous dit c’est qu’il faut des gamètes mâle et femelle pour faire un enfant. Point. Tout le reste de nos postulats sur l’union, la monogamie, la parentalité ont des fondements culturels et civilisationnels – surtout religieux, mais pas exclusivement.

Cela ne rend évidemment pas ces principes indignes de respect pour autant ; cela signifie simplement qu’aucun d’eux n’est justifiable par la nature.

La nature que tu invoques, c’est la même qui est dans les ouragans, les cyclones, les éruptions volcaniques, etc. La nature, c’est la maladie – genre le sida, le cancer, les virus. Si je pousse ton raisonnement, toute la médecine, par exemple, va à l’encontre de la nature. Au fond, si un mec chope une maladie mortelle, on devrait le laisser crever, parce que c’est sûrement la nature qui s’autorégule. A moins que tu n’attribues des intentions à la nature, une finalité qui lui soit propre (genre, la vie), et du coup les humains devraient agir en fonction de cette finalité : c’est un peu ce que postulent les religions. A ce moment-là, comment expliquer et justifier la destruction présente intrinsèquement dans la nature ?

Toujours est-il qu’on est dans les registres des interprétations et pas de la nature en tant que telle. La nature elle est, point. Elle est d’une certaine manière. Que nous calquions notre existence sur la sienne soit bon ou mauvais, c’est un jugement proprement humain, qui fait intervenir d’autres critères – moraux, justement.

Intervenant x :

J’ai de très rare certitudes, mais l’une d’elles c’est que l’homme n’arrivera jamais à se substituer à la nature, il ne va que trifouiller en surface, se prenant pour un génie, alors qu’en fait il ne fait que détruire ce que la nature à lentement mais surement produit.

La nature est destruction également, parfois.

Manger est une destruction en soi. Manger d’autres êtres, par exemple. Comment justifier qu’un être humain enlève la vie à d’autres êtres vivants? Enlever la vie, c’est pourtant contre-nature, non? Qu’est-ce qui fait que ce n’est pas amoral, alors?

Quoi qu’il en soit, il n’est pas question de se substituer à la nature. Simplement, l’être et le devoir-être, ce sont deux questions carrément différentes.

Intervenant x :

Il y a des différences physiques notables, on y échappe pas, et pour être pilote de chasse il faut être au top physiquement et mentalement.

Quand je vois le niveau physique de pas mal de mecs dans ce genre de fonctions, je ne pense pas qu’une femme ne puisse pas y arriver. Maintenant, c’est possible que ce soit plus difficile pour elle.

Tu as dévié le débat à mon sens. J’ai dit “Au niveau biologique, on ne peut plus faire non plus sans les progrès de la génétique et autres […] on a une liberté qui transcende quand même la donnée biologique : plus besoin de l’acte de copulation pour donner naissance à de nouveaux individus” et toi tu as répondu “c’est une illusion” en développant des hypothèses hors de propos en ce qui me concerne.

D’autres types d’organisation sociale existent déjà, y compris “dans la nature”

Toujours est-il qu’on peut carrément se permettre sans que ça ne coute un bras à la société (c’est comme ça en Belgique depuis 10 ans et notre économie se porte pas plus mal qu’en France merci) de faire que cela se passe autrement que ce que certains préceptes le veulent. Et le tout, sans compromettre quoi que ce soit (au niveau de la survie de l’humanité, par exemple). L’argument c’est genre “c’est comme ça dans la nature”. Si c’était réellement comme ça dans la nature, que c’était un déterminisme, ce serait universel et on ne pourrait rien y faire. Tout homme ferait un ou plusieurs gosses à une ou plusieurs femmes.

Et bien non, y a plein de sociétés où c’est pas comme ça. Dans la nature même, il y a des êtres vivants qui se reproduisent de manière asexuée. Des êtres plus élémentaires, certainement, mais qui montrent que non seulement la liberté humaine (c’est de ça dont il est question) n’est pas conditionnée totalement à la nature, mais en plus que même la vie en tant que telle ne répond pas à une et une seule recette de fabrication.

(NB : Les médias sont vecteurs d’éducation. Un vecteur parmi d’autres).

Quant au discours que tu tiens sur le mariage homosexuel, je suis en total désaccord avec toi. Je doute que la France ait eu subitement des élans altruistes envers les plus pauvres en se disant que c’était trop injuste pour eux que seuls les homos assez fortunés puissent adopter… Je n’ai malheureusement pas assez de temps pour te répondre plus en profondeur.

intervenant x (en réponse à une intervention tierce, d’un autre intervenant) :

En quoi c’est pertinent QUE PERSO je doute OU pas, en QUOI ça te concerne ????? On s’en TAPE DE MES CONVICTIONS, on DISCUTE là !

En fait le truc c’est que de tes convictions ou hypothèses (appelons les comme tu veux) découle une morale / une éthique, de ce qui te semble bon / normal pour le monde. Or, certaines affectent justement d’autres personnes, dont tu estimes les pratiques contre-nature. Politisées, ces affirmations sont dommageables à la liberté de certains individus. Donc en un sens, oui, le fait que tu doutes ou non peut être important dans une telle discussion…

Métaphysique et liberté

Admis que les postulats métaphysiques des uns et des autres n’ont pas été prouvés – ni réfutés, n’est-on en effet pas en droit de se demander simplement ce qui est le plus correct pour une société harmonieuse ? Autrement dit, de faire fi de ces postulats contradictoires pour construire des arguments.

Jusqu’à présent, tu n’as argumenté à ce sujet qu’en te fiant à tes postulats métaphysiques, avec pour seul argument qu’ils sont irréfutables. Cela n’empêche qu’aucune loi universelle ne dit que le devoir-être doive découler de l’être, fusse même dans une vision purement positiviste-essentialiste (qui nierait en réalité toute liberté et qui voudrait dire que cette discussion est stérile car au fond tout serait déjà prédéterminé, qu’on le veuille ou non)…

intervenant x a écrit :

Non je pars du principe qu’ils sont vraie pour continuer, sinon je peux pas avancer dans l’argumentation.

Justement. En fait tes propos sont basés sur de nombreuses hypothèses que tu tiens vraies :

  • Il y a des lois immuables de la nature (hypothèse fertile dans le champ scientifique, dont l’application reste toutefois discutable)
  • La finalité de la nature est la vie ; la nature a en quelque sorte une “intention” (d’où le fait qu’on en est arrivés à déceler la notion d’entité divine derrière ton discours, qui pourrait être la nature en tant que telle ou autre chose, mais qui est en tout cas une chose “supérieure” qui détermine en dernière instance le sens du monde)
  • Ce qui va à l’encontre de cette finalité naturelle (cet état de fait qui n’est qu’hypothèse) est mal. Là, il y a ton fameux glissement de l’être au devoir-être.

Éventuellement, il y aurait aussi des vies et/ou des espèces qui ont plus de valeur que d’autres, mais je me trompe peut-être (tu ne m’as pas répondu quant à la destruction de vies tierces).

Toujours est-il que l’on peut se demander si, dans ton système, il n’est pas contre-nature de combattre un virus ou une pandémie, qui témoignent de l’essor d’un être vivant au détriment d’un autre. Quid également du fait que nous mangeons de la viande? Voire même des fruits et légumes? Comment justifier que nous détériorons la vie d’autres organismes à notre profit? C’est la nature, oui. On tourne en rond. Mais qu’est-ce qui fait que c’est bien ou pas? Si l’on s’en réfère à ton système, c’est mal. Or, comme “c’est comme ça dans la nature”, je doute que ce soit ton avis. Dès lors, comment justifies-tu ce système d’exception?

Il y a aussi une sorte de confusion entre individuel et collectif, dans la mesure où ton système métaphysique privilégie la vie dans l’absolu (du moins, la pérennité de l’espèce), tout en condamnant des comportements qui ne l’affectent pas vraiment, dans la mesure où si tu as des personnes gays ou des couples qui ne copulent pas dans le but de la reproduction, ça ne compromet en rien la survie de l’espèce (au contraire, si l’on en croit certaines craintes démographiques)… Une confusion encore entre “genre” et “sexe”, soulevée par intervenant y (encore une fois, entre ce qui est “décidé” socialement et ce qui “est”), ce qu’étudient justement les études de genre que tu dénonces en méconnaissance de cause, dans la mesure où ce qu’elles posent comme question c’est “qu’est-ce qui est construction sociale?”.

Plus haut, j’ai écrit :

Il est question d’étudier les constructions sociales, et non de dire que tout n’est que construction sociale. […] Le genre est d’ailleurs, par définition, un concept utilisé en sciences sociales pour désigner les différences non biologiques entre les femmes et les hommes.

Intervenant x a écrit :

Par contre je suis un peu déçu à être le seul à défendre, et à concevoir l’existence d’un Dieu en terme d’entité ou d’être suprême.

Tu n’es pas seul à émettre l’hypothèse, mais tu es le seul à t’en servir pour déterminer du devoir-être humain. Or, ce qui te permet d’affirmer cela, c’est entre autres tes observations… de la nature.

Sur la rhétorique…

Plusieurs arguments concrets que j’ai la flemme de te copier-coller ici ont été exposés et montrent bien le caractère douteux de cette généralisation.

En gros, ce n’est pas parce que les choses sont comme ça qu’elles doivent l’être, d’une part. De plus, elles ne sont pas universellement comme tu les décris.

Dire que l’homosexualité du bonobo ou les ouragans sont contre-nature, c’est absurde. La nature serait contre-nature ! Dire que ses comportements homosexuels nuisent au déploiement de la vie, idem. Quid de la mante religieuse qui bouffe son mâle après le coït ? N’est-elle pas contre-nature ?

Et si on arrive à “aller dans le sens de la nature” (de sa finalité que tu lui postules, à savoir la vie), sans cependant faire comme elle (clonage, embryons, toussa), en quoi est-ce mauvais ?

L’argument des couts et de l’efficacité que tu utilises sont bidons : tu te réfères à ton système métaphysique pour tout justifier, et quand ça ne te convient plus tu nous sors du concréto-concret. A un moment donné, il faut être cohérent : au regard de ton seul système métaphysique qui privilégie la vie et les comportements pro-vie, il n’y a aucun problème au clonage, à l’insémination in vitro, etc.

Encore une fois, le souci est que tu fais du normatif à partir de ce que tu appelles des hypothèses que tu tiens en réalité pour des vérités indubitables / indiscutables. L’exercice consiste à dire que ce système pose problème justement sur le plan social et normatif, sur le plan de ses “effets” et du “bien” qu’il génère (critères pour en juger : plaisir, fertilité scientifique, émancipation / liberté, etc.).

Par rapport à tout cela, tu enfreins également la charge de la preuve. C’est à toi de démontrer tes hypothèses, pour peu que tu les affirmes/tiennes pour vraies à un moment donné (ce qui fait que ce ne sont plus des hypothèses), et non à nous de te prouver qu’elles sont fausses. Nous en avons déjà trop fait en te montrant leur non universalité (ce qui est plus simple à démontrer que l’universalité, concédons-le).

Enfin, poussé à l’extrême, ton raisonnement nous prive de liberté. Si l’univers / la nature / le “tout” est prédestiné et a une finalité bien précise, que c’est “naturel”, dans notre “moi profond”, au fond, nous ne pouvons aller que vers cela. D’ailleurs, il apparait totalement inexplicable qu’il existe des comportements qui vont à l’encontre de ce dessein. En fait, cela dénie tout enjeu de cette discussion, puisque tout est là, tout est donné. Il n’y a pas à discuter en fait, c’est comme ça.

A noter pour terminer que les discussions relatives aux études de genre et autres ont semblé bien stériles, ce qui semble malheureusement aller dans le sens de cette (hypo)thèse…

Intervenant x :

Tu me demandes un travail, à moi qui n’impose rien, que je pourrais essayer de produire si j’en avais les capacités et/ou le temps. Mais pourtant ce travail, tu me corrigeras si je me trompe, n’a pas été fait par la société qui m’impose à moi et à toi, et aux autres un devoir-être, qui lui est basé sur quoi ?

Rassure-toi, j’adopte la même position envers certains impératifs sociétaux qui ne seraient pas le résultat d’un tel travail… Si cela peut s’apparenter à de la déconstruction, il est cependant rapidement plus fertile et a fortiori moins contraignant de partir de ce qui privilégie le libre arbitre que les déterminations extérieures…

Intervenant x :

J’ai ma conception du libre arbitre, bon elle est très métaphysique, tu l’as surement déjà remarqué. Donc je vais faire abstraction de ma conception, et pour débattre sur ce point, il me faudrait la tienne. Au moins pour comprendre, si ce n’est tenter d’apporter un début de travail.

Très très très trop long à dire comme ça. Quelques mots-clés :

  • Je ne rejette pas tout déterminisme / semi-déterminismes : condition d’homme mortel
  • Autonomie (littéralement “qui se donne ses propres lois” >< déterminismes = les lois sont données de l’extérieur)
  • Existentialisme modéré (“je me définis moi-même par mes actes”, en dépit de…)
  • Volonté – Responsabilité
  • Émancipation VS aliénations (aliénations = notamment idéologies, dogmes… = ce à quoi les gens croient sans savoir qu’ils y croient)

J’ai dit : Tu pars de postulats qui déforment ta vision de la réalité.

Intervenant x : C’est un compliment car pour moi c’est le paradigme de nos sociétés occidentales qui est difforme.

Certains de ces paradigmes – car heureusement il n’y en a pas qu’un seul – ont le mérite de ne pas être auto-contradictoires… De nombreuses questions restent sans réponse dans ton système. J’en reprends que tu as éludées :

La nature est destruction également, parfois.

Manger est une destruction en soi. Comment justifier qu’un être humain enlève la vie à d’autres êtres vivants ? Enlever la vie, c’est pourtant contre nature, non ? Qu’est-ce qui fait que ce n’est pas amoral, alors?

C’en sont parmi d’autres. Tu ramènes tout à un ou deux principes qui “vont de soi”, genre “la nature -> la vie”. De nombreux éléments semblent contredire cette thèse. Du coup, comment justifier leur existence / le fait qu’ils adviennent, et que dire de leur moralité ? Il y a de nombreux autres présupposés dans ton système, notamment celui d’une intelligence supérieure. En somme, on est obligés de démultiplier les présupposés pour pallier les contradictions.

C’est un bel exercice spéculatif, mais le zététicien / rationaliste te proposera de privilégier les pistes les plus simples. S’il y a infraction à des lois “universelles”, il faut expliquer ce qui les cause. Et pourquoi elles sont causées.

Pour faire encore plus simple, si tu le souhaites, prenons le raisonnement dans son sens le plus naïf (il est en réalité plus complexe) : tu me dis qu’il y a la vie dans la nature, je te dis qu’il y a la mort. Qu’est-ce qui explique que tu fasses le choix de dire que la finalité est la vie alors qu’il y a dans la nature tout autant la vie que la mort (et probablement d’autant plus de mort si on considère que l’absence de vie est la mort également) ?

Intervenant x :

Je crois que la plupart des gens confondent vivre mieux, et vivre dans le luxe.

Ce ne sont pas deux principes incompatibles. D’autres confondent être et devoir-être, nature et culture, sexe et genre… 😉

Dogmatisme et sciences

Enfin, je viens de me rendre compte que j’avais loupé une de tes répliques…

Intervenant x :

Je suis pas non plus fan des études à tout va. Le fait est que c’est la théorie des genres qui “impose” de faire des études. Puisqu’à travers cette théorie on redéfinie une morale et des mœurs, on remet en cause des “convictions” qu’on avait depuis des millénaires. Du coup on peut pas accepter ça sans réflexion, observation, analyse, etc.

Cela mérite d’être décortiqué…

Je suis pas non plus fan des études à tout va.

Tu préfères les dogmes, les conventions, le “on a toujours fait ainsi” ?

Le fait est que c’est la théorie des genres qui “impose” de faire des études.

Faux.

Puisqu’à travers cette théorie on redéfinit une morale et des mœurs, on remet en cause des “convictions” qu’on avait depuis des millénaires.

Mince, quel emmerdeur ce Galilée avec sa science, on était bien sans lui avec notre géocentrisme millénaire !

Ce n’est pas une finalité en tant que telle de toutes les études du courant des études de genre – qui sont bien des études et non des théories, me permets-je de te rappeler, mais quand bien même ce serait le cas, en quoi est-ce mal ? (Avant de répondre à cette question rhétorique, je te suggère de lire la suite et de plutôt te concentrer sur les réponses qui justifient les “écarts” et contradictions à ton système métaphysique, ainsi que les hiérarchies morales qu’il suppose en termes de droits à la destruction notamment).

Du coup on peut pas accepter ça sans réflexion, observation, analyse, etc.

C’est justement le parti pris inverse que tu sembles désespérément ne pas comprendre.

Un dogme consiste à dire “ça a toujours été comme ça”. Le courant des études culturelles en général, mais aussi ce qu’on est en train de faire ici, c’est justement de dire qu’on ne peut pas accepter telle ou telle assertion qui nous impose des règles de vie sans réflexion, observation, analyse, etc.

A la place de trouver des justifications basées sur de la spéculation, de soumettre la question à une véritable investigation scientifique.

Maintenant, on peut préférer la métaphysique à l’observation de ce qui existe, mais quand on revendique des règles qui se réfèrent à ou découlent de “la nature”, n’est-il pas mieux tout d’abord d’être bien au clair avec ce qui relève de ladite nature par rapport à ce qui n’en relève pas ?

Enfin, comme on l’a dit un bon mille fois, certains courants politisés de ce type d’études ne sont pas tout à fait objectifs et/ou opèrent un glissement entre le scientifique et le normatif (glissement qui se retrouve chez toi entre le métaphysique et le normatif), mais un des enjeux consiste justement à soumettre la décision normative à beaucoup plus d’observation, d’analyse, de réflexion, en ne se basant pas sur des “allants de soi”, des “thèses acquises”, mais bien une remise en cause critique, qui peut aller tant dans un sens que dans un autre (pourquoi le scientifique qui constaterait une règle universelle dans les comportements humains grâce à ses études culturelles le tairait-il, à moins d’être malhonnête ?)…

Il m’a fallu un peu de temps avant d’écrire – à propos de Charlie Hebdo (2015a)

Il m’a fallu un peu de temps avant d’écrire. Le temps que l’émotion redescende. Le temps d’une nuit, une nuit à repenser à tout ce que j’ai pu lire, voir ou entendre hier.

Le temps, puisqu’il en est question, est au recueillement et aux hommages aux victimes. Comme beaucoup, je me joins au soutien à leurs familles et à leurs proches. L’heure est à la tristesse et au respect des défunts et du deuil.

Plus tard viendra le temps de la réflexion. Il importe que cela soit plus tard. D’abord, comme je l’ai dit, par respect. L’heure n’est pas aux analyses ou aux stratégies politiciennes. Ce serait malsain. Ensuite, parce que l’émotion est grande, elle est forte, elle nous touche dans nos libertés individuelles et collectives. Il y a eu de la destruction. Il faudra prendre le temps de reconstruire (voire de construire quelque chose de neuf).

Grâce au courage de personnalités publiques et à celui de plusieurs de mes proches de tous milieux que je lis sur les réseaux sociaux, j’ai envie d’avoir espoir.

Je lis d’abord cette retenue, cette tristesse partagée, cette indignation, cette incompréhension. De la colère, aussi, légitime face à une telle folie, absurde, injuste. Je lis ce sentiment humain d’empathie avec les victimes et leurs proches.

Non, nous ne sommes pas tous des barbares. Non, nous n’acceptons pas ces actes criminels. En tant qu’individus, nous ne sommes pas d’accord avec cela. Je vois des rassemblements de foules, par milliers, par millions, debout dans la rue, pour signifier leur soutien à Charlie. Des millions de messages sur les réseaux sociaux également, derrière les hashtags #JeSuisCharlie #CharlieHebdo.

Je vois ensuite de la peur et de la raison. De la peur que ce tragique événement engendre ou renforce des amalgames ou des tensions.

Face à l’absurde des guerres et des attentats

Non, les musulmans ne sont pas tous comme cette poignée de terroristes qui ont une lecture particulière de leur religion. Je ne pense pas que les musulmans doivent s’excuser des crimes commis en leurs noms. Dois-je m’excuser si un homme tue sa femme au nom de la masculinité ? Cependant, je ne peux que saluer la prise de parole de tous ces musulmans qui prennent la peine de condamner ces actes. Parmi les personnalités publiques, il y a eu notamment Hassen Chalghoumi, Tareq Oubrou, Mohamed Ramousi, Muhammad Tahir-ul-Qadri. A cela s’ajoutent des communiqués signés par des collectifs d’associations et autres messages publics. Ils l’ont dit haut et fort : cela n’est pas la religion, c’est même le contraire de l’islam, tel qu’il est pratiqué en tout cas par une majorité de croyants. Parmi mes amis musulmans, plusieurs ont pris la parole également. Je pense que c’est important et je ne peux que saluer leur courage.

Je salue aussi le travail journalistique consistant à répéter – pour une fois, c’est un fait rare dans certains médias français ! – qu’il ne faut pas stigmatiser une population. Plusieurs de mes amis belges et français ont cette crainte que la communauté musulmane soit une victime collatérale, à l’heure où Le Pen, Zemmour ou encore récemment Houellebecq ont tribune libre dans l’espace public.

En outre, je lis des appels à la décence et à l’apaisement, ce qui encore une fois me semble la moindre des choses pendant cette période de deuil et d’émotion. Nos pensées vont également au policier Ahmed, lui aussi victime du carnage, et à sa famille.

Je vois la peur et la raison, encore, dans le souci par rapport aux libertés fondamentales.

Les libertés individuelles, d’une part, que certains ont peur de voir rongées encore un peu plus par des dérives sécuritaires, par encore plus de surveillance et de suspicion (Lire par exemple cet article).

La liberté de la presse, la liberté d’expression, d’autre part. Cet attentat a une charge symbolique très forte. En France en 2015, des individus, des dessinateurs et des journalistes, ont été tués pour leurs idées. La peur est légitime. De grands caricaturistes belges comme Geluck, Vadot, Kroll ou DuBus ont exprimé combien un tel drame les a horrifiés : quand on choisit les mots et les images, la plume ou le crayon, c’est peut-être justement parce que ce sont des outils qui ont plus de valeur que les armes, et que l’on ne veut pas devoir prendre les armes. Faire couler de l’encre plutôt que du sang.

(Des centaines de dessins, encore : iciici).

J’ai envie d’avoir espoir parce que j’observe toutes ces femmes et tous ces hommes prendre la parole et (ré)affirmer ainsi que les mots (et par extension, je l’espère, le dialogue, la discussion) ont plus de sens que les armes. Il y a d’autres moyens pour exprimer un désaccord que la violence – car justement, on a le droit de ne pas être d’accord, d’être choqué, d’être en colère… Il faudra que justice soit faite, que les crimes soient punis, comme il se doit. En parallèle, j’ai le souhait que la paix, les valeurs et les libertés triomphent de l’absurde. Que le constructif triomphe de la destruction. Que les mots, les textes, les paroles et les dessins fassent plus de bruit que les canons. Non, nous ne laisserons pas la terreur triompher. Nous ne laisserons pas les armes prendre le pas. Cette nuit, les foules scandaient : « Charlie n’est pas mort », « Liberté d’expression »… Continuons à ne pas laisser gagner l’absurdité.

Pour ceux que ça intéresse, j’ai pu lire aujourd’hui et hier des articles qui m’ont fait réfléchir. Je les partage ici.

Ceux-ci ne reflètent pas nécessairement mon opinion, voire sont contraires à ce que je pense sur certains points, mais ils existent et ont ceci de commun qu’ils n’appellent pas à la violence ou à la haine (critère qui jette pour moi le discrédit sur l’article et son auteur) et qu’ils représentent souvent une mise en question « de l’intérieur » et pas dirigée envers « l’autre » (Ricoeur disait que « l’idéologie n’est jamais assumée en première personne : c’est toujours l’idéologie de quelqu’un d’autre »).

Ce sont des appels à la raison, à l’analyse, au dialogue et/ou à la (re)construction. Dans l’optique dans laquelle je les partage, ils ne remettent en rien en cause la légitimité et l’importance du respect, du deuil et de l’émotion, de même qu’ils n’atténuent en rien la gravité des crimes commis.

Enfin, mon but n’est pas de débattre de ces articles (pas ici en tout cas), mais d’apposer des points de vue et de questionner (de manière non exhaustive) différents enjeux liés aux actes terroristes récents.Il convient donc de les lire en entier, à froid, et de se faire sa propre opinion :

Street Press – Pourquoi l’attentat nous rend déjà cons

Mathias Delori – Ces morts que nous n’allons pas pleurer

Rue89 – Après Charlie Hebdo : « l’hystérie sécuritaire ne protège pas »

Xavier De la Porte – Charlie Hebdo : la « force incroyable » du dessin

Slate.fr – Le blasphème, provocation inutile ou pratique essentielle à la démocratie ? Aux Etats-Unis, l’attentat contre Charlie Hebdo relance le débat

Ruwen Ogien – Que reste-t-il de la liberté d’offenser ?

Abdennour Bidar : Lettre ouverte au monde musulman (2014) (et une réponse aux thèses de A. Bidar par Adel Taamalli, qui est également dans un questionnement mais de l’ordre de la conciliation plutôt que de la réforme Une critique islamique de la pensée d’Abdennour Bidar (2014, 1/4)Une critique islamique de la pensée d’Abdennour Bidar (2014, 2/4)Une critique islamique de la pensée d’Abdennour Bidar (2014, 3/4)Une critique islamique de la pensée d’Abdennour Bidar (2014, 4/4)).

BC, sur Arret sur Images – Je ne suis pas Charlie. Et croyez moi, je suis aussi triste que vous

Christian Salmon – Nous sommes eux et ils sont nous

Mon désarroi par rapport à une prof qui parle de Charlie à ses élèves

Frédéric Lordon – Charlie à tout prix ?

Schlomo Sand : « Je ne suis pas Charlie »

Ces derniers jours, j’ai vu pas mal de bullshit sur mon fil d’actualités (2015b)

Je crois que l’indignation et la dénonciation ne suffisent pas face au racisme sous ses formes multiples et à la haine.

Je pense qu’il y a un travail de fond à faire pour que les gens discutent plutôt que d’apposer leurs opinions sans jamais se rencontrer, et que c’est aux modérés à montrer l’exemple.

Je suis plus dur avec ceux avec qui je suis d’accord, parce que sur le coup j’ai envie qu’ils aient raison des haines et des violences. On ne veut voir s’améliorer que ceux que l’on veut voir gagner.

C’est aux modérés à apprendre aux autres que l’on peut dire que l’on ressent de l’injustice. Dans une démocratie, on peut dire que l’on n’a pas confiance dans un système qui semble inéquitable et qui soumet à l’austérité. On peut témoigner également d’une peur face à des groupuscules guerriers, face à des actes barbares et sanguinaires, face à la violence en tant que telle. Mais aucune forme de haine qui pourrait en découler ne peut être tolérée.

En plus, bien sûr, la plupart des propos haineux ou racistes sont logiquement faux.

La logique face aux mauvais arguments

C’est aussi selon moi en faisant la part des choses que l’on peut peut-être parvenir à faire nuancer les propos de ceux qui expriment à mon avis avant tout des préoccupations personnelles.

Il y a donc évidemment un travail d’argumentation, de présentation des faits et de déconstruction des idées fausses, mais il ne faut pas se perdre non plus dans le jeu des querelles sémantiques, là où les extrémistes et radicaux de tous poils jouent très bien le jeu de la langue de bois.

Dossier : lutter contre les discours faux et/ou haineux

C’est donc aussi un travail d’écoute et de « traduction » de ce qui est intolérable, de « compréhension » du ressenti de l’autre, au-delà des propos inacceptables. Le travail est sur les deux plans, car je pense que si on ne leur donne pas l’impression d’être entendus, ils continueront à vomir leur haine.

Arrêtons de donner aux racistes l’opportunité de se présenter en victimes. On clarifie aussi la liberté d’expression si on arrive à leur montrer qu’il est autorisé d’extérioriser et de communiquer leurs émotions, leurs sentiments ou opinions politiques, et que ce qui est interdit et/ou faux, ce sont les amalgames, la haine et la violence. Cela fait partie du travail.

Par ailleurs, c’est un travail éducatif de fond qui semble nécessaire. J’ai vu des gens partager des trucs faux de Fdesouche.fr ou de Lesobservateurs.ch sous prétexte que « les médias nous manipulent ». Quelle ironie.

Il y a deux semaines, j’étais impliqué contre mon gré dans des querelles entre athées intégristes et religieux intégristes. J’ai bien sûr vu passer d’autres querelles sur le conflit israélopalestinien, voire sur des questions de genres. L’impression d’être prisonnier devant des dialogues de sourds. Une non-entente parfaite, totale. Des lectures dogmatiques purement identitaires de la réalité. Bien sûr, il y avait aussi des intervenants qui adoptaient un comportement plus humble, nuancé, faisant droit à la complexité des choses, à la réalité, et à une manière de communiquer constructive et respectueuse. Trop peu nombreux ?

En début d’année, j’écrivais « Guerre(s) et philosophie ». Il y a deux ans, j’écrivais « Pour une éthique de la discussion ». Depuis des années, je cherche à outiller les gens pour distinguer le vrai du faux (épistémologie, critique des médias, activités d’éducation aux médias). Tout cela est à la croisée de ces chemins. Et il y a encore un boulot colossal à réaliser.

Je n’abandonnerai pas, et à la fois je me sens dépassé par le flot de merdes que j’ai pu lire ou entendre récemment…

De service anti-populiste pour le réveillon (2016a)

Réponse à une proche qui relaie du FdeSouche / LesObservateurs.ch et autres…

La personne relayait notamment une photo d’un brave homme, visiblement sans abri, avec son chien, avec pour commentaire que l’on devait s’occuper de lui avant de s’occuper des migrants.

Dossier : lutter contre les discours de haine

Je lui ai d’abord répondu ceci :

« La photo touchante du chien et de son maître circule depuis bien avant 2012 (cf. mon article ici). Avant la vague migratoire actuelle, et certainement pas en France ou en Belgique. Il se pourrait d’ailleurs qu’il s’agisse d’une mise en scène de sensibilisation. Cela reste touchant et très choquant de se dire qu’il y a en effet beaucoup trop de sans abris…

A part ça, je lis que tu relaies parfois des sites comme FdeSouche, LesObservateurs.ch, etc. Ces sites diffusent très très souvent des intox, des rumeurs et des désinformations. En fait ils s’en fichent de ce qui est vrai ou non tant que ça va dans leur sens (climat anxiogène, etc.). Ils disent donc parfois des choses vraies, mais globalement ce ne sont pas des sources très fiables. Ce montage, en l’occurrence, n’a rien de factuel. Cette famille n’est probablement pas une famille de migrants, de même que ce brave homme et son chien ne sont pas des SDF français ».

Elle m’a répondu ceci :

« Ce n est que de photos et j en suis consciente… mais il suffit de se promener dans la rue et se rendre compte de la réalité des faits. Quel l on accueille des réfugiés je suis d accord mais que l on laisse des gens mourir de froid dans la rue en parallèle je ne le suis pas. Quant aux informations relayees par certains medias je les partage parce que de un c est mon droit d expression..et de deux cela relaye une verite qu il ne faut pas ignorer meme s il elle peut etre tronquee ou manipulee..mais les rouges ne le font ils pas ??? »

Je lui ai donc répondu plus en profondeur :

« Je ne nie pas les faits non plus, c’est une réalité qu’il y a bien trop de sans abris et c’est une injustice atroce. Il y a aussi 10% de gens qui ne savent ni lire ni écrire en Belgique, ça ne devrait pas exister dans un pays qui se dit « civilisé »…

Ce qui me gêne dans cette photo c’est qu’on laisse entendre que c’est à cause des migrants qu’on ne s’occupe pas des belges… Mais la pauvreté existe depuis bien avant les migrants, de même que le chômage ou les emplois de merde alors que certains (de gauche, de droite et d’autres bords) s’engraissent et s’enrichissent de plus en plus…

Que des politicards ne fassent pas correctement leur job n’est pas nouveau et c’est facile pour des populistes de rejeter la faute sur ceux qui ne savent pas se défendre. C’est mieux de liguer les « petits » les uns contre les autres pour défendre leurs intérêts et s’assurer le vote des révoltés.

Bref, on est bien d’accord toi et moi que l’on ne devrait pas laisser mourir de froid des gens, et que certains dirigeants soi-disant de gauche n’aident pas assez le « petit peuple ». Pour moi ce n’est juste pas incompatible.

On pointe du doigt les migrants comme la cause mais ça c’est un mensonge. De nombreux faits montrent qu’à moyen et à long termes les migrants ont un apport positif pour l’économie (cf. mon article)

Quant aux médias que tu relaies, par contre, au sens strict du terme, la liberté d’expression ne permet pas de dire tout ce qu’on veut. Ainsi en est-il de l’incitation à la haine, ce que font notamment FdeS ou LesObs.ch. La liberté d’expression consiste à pouvoir exprimer et revendiquer toute opinion politique, morale, religieuse… sans être censuré par l’Etat, ce qui ne veut pas dire qu’aucun propos n’est faux ou condamnable.

Oui, les gens sont autorisés à partager des contenus de FdeS ou LesObs.ch sans être censurés en amont, cela n’empêche pas que ce faisant ils partagent souvent des trucs faux et parfois même condamnables. Et ça empêche encore moins que ces propos puissent être critiqués, débattus et discutés ! Non seulement au nom de la liberté d’expression, mais aussi de la véracité des faits.

Jamais je n’ai voulu t’empêcher de publier ou partager quoi que ce soit, bien sûr… Je ne me permettrais avec personne et encore moins avec une personne proche ! Mais comme tu partages cela publiquement, que tu t’exprimes pour ton audience dont je fais partie, moi aussi je prends part à ta réflexion et à l’échange. Des médias qui mentent, manipulent ou se trompent, il y en a de tous les bords. Mais certains assument, corrigent, voire s’excusent. Ce n’est pas le cas de FdeS ou LesObs.ch. La vérité n’est pas un critère pour eux. Ferais-tu confiance à un type qui te ment une fois sur deux et qui ne reconnait même pas quand il ment ?

Bref, critiquer certains politiques sur base de leurs (in)actions, je suis 100% pour… M’indigner des injustices, clairement. Je te sens révoltée, et je partage ta révolte. Je ne supporte pas les injustices et je me sens impuissant par rapport à cela, parce que c’est insuffisant d’agir à mon niveau (il faut que les décideurs se bougent aussi…). Mais par contre, ce n’est pas parce que des socialistes, des journalistes ou des extrêmes ou n’importe qui d’autre « manipulent » que l’on doit relayer d’aussi gros menteurs, manipulateurs et surtout commencer à désigner des boucs émissaires… ! C’est comme ça que sont nées les pires dictatures.

Je suis certain que tu ne veux pas de cela, je te connais et je sais que ce qui t’énerve ce sont les injustices ! C’est dégueulasse et on est bien d’accord. Je trouve simplement qu’il ne faut pas se tromper de cible et pas ajouter de la haine au drame… Je ne voudrais pas être à leur place, et j’imagine ceux qui en profitent réellement, dont certains doivent peut-être bien rigoler qu’on s’en prenne les uns aux autres plutôt que de s’occuper des vrais problèmes… »

Advienne que pourra…

Comportement terroriste (2016b)

En Belgique, depuis 2011, nombre de morts dues

(a) à des attentats : 9.

(b) à des accidents de la route : plus de 3000 (nombre d’accidents par an : plus de 40 000).

Ce serait exagéré de qualifier le comportement de certains usagers de désaxé ou de terroriste ?

Critique de l’image « Just because you are right does not mean I am wrong » (2017)

Cette image est hautement discutable.

Questions d’épistémologie

Tout est vrai, d’un certain point de vue

Je suis aussi en désaccord avec le genre d’image qui est ici critiquée. C’est un relativisme naïf et intenable, pour différentes raisons.

« Il n’y a pas de vérité », « à chacun sa vérité »… Qu’est-ce que le relativisme ?

Effectivement cela pose problème quand par exemple on met des propos haineux, extrémistes, climatosceptiques ou encore pseudoscientifiques sur le même pied que des propos scientifiques, par exemple.

Depuis mon mémoire en 2009, la plupart de mes écrits ou interventions traitent de cette question de la vérité et de notre rapport avec elle.

Mais ici l’exemple est mal choisi. Comme si l’intention de l’auteur définissait ce qu’une chose était factuellement et avait de ce fait plus d’importance que la lecture des récepteurs.

Il n’y a pas de discours sur le réel en dehors de langages (signes), de communautés et de réappropriations humaines. L’objectivité factuelle existe (et ceci est un postulat discutable), mais c’est une caractéristiques des faits et des objets, et non des représentations.

Lire aussi : On: An Awful March for Science Meme (2017).

Dans ce cas, il y a « une » vérité qui prévaut sur les « points de vue », et en même temps les points de vue disent bien quelque chose sur le réel.

Bref, tous les points de vue ne se valent pas. Ce n’est pas pour autant qu’il n’y en a qu’un qui a plus de valeur que tous les autres… Et surtout pas dans des cas où justement la marge de subjectivité est aussi présente, y compris dans le chef de l’auteur d’un signe…

Tout est vrai, d’un certain point de vue

On pourrait en discuter longuement (mon propos reste caricatural, mais l’enjeu est de montrer que c’est loin d’être indiscutable, surtout dans ce « mauvais » exemple)… A noter que perso, l’usage des virgules dans l’image initiale me choque plus que le reste.

Guerre nucléaire (2018)

Il est fort probable que les USA ne garderont pas éternellement la triste exclusivité de l’usage de l’arme nucléaire.

Pourvu cependant que les actes de propagande et de menace que l’on peut voir et craindre ne débouchent pas sur de telles conséquences.

Armement et bombes nucléaires : l’Humanité en sursis ?